L’œuvre de Vera Molnar est une réflexion esthétique sur le « voir », sur la logique qui sous-tend les choses et sur la part de désordre dans l’ordre des choses. Elle milite pour un art mesurable, contrôlable, quantifiable, en y introduisant un nécessaire « 1% de désordre ».
Vera Molnar, Algos et rythmique
Vera Molnar fait un usage paradoxal de l’informatique, qu’elle explore dès 1960. Les algorithmes lui permettent de mathématiser son processus de création. Elle pose des règles : les motifs se répètent, se combinent, se décalent. Grâce à la machine imaginaire, de 1960 à 1968, puis à la machine des laboratoires Bull, les lignes, les formes, les courbes, les couleurs répondent à une mesure commune, et peuvent créer ensemble des harmonies et des désharmonies, se mêler, se confondre, se transmuter.
Mais aussi, « la vitesse et l’exhaustivité permises par la puissance de calcul de la machine font naître d’infimes et infinies variations, comme autant de réflexions sur la complexité et la variabilité de la perception». C’est de l’ordinateur que naît la sérendipité, cette capacité à créer du hasard, pour le saisir et l’incorporer à la création. C’est lui aussi qui permet de résumer dans un même langage les différentes facettes de la perception, les multiples combinaisons qui font tenir l’équilibre du tout.
Vera Molnar, Changer le voir
Non, Vera Molnar n’a « pas froid aux yeux » ! Après quelques essais aux Beaux-Arts de Budapest, entre 1940 et 1946, elle abandonne rapidement la figuration pour se concentrer sur les formes géométriques de base. Elle travaillera ensuite avec la « machine imaginaire » : des programmes simples qu’elle appliquera elle-même, en respectant ses propres règles et contraintes de transformations sérielles.
En 1968, c’est un véritable ordinateur qui lui permet de « systématiser ses recherches, mettre dix sur dix carrés sur une surface et glisser de la fantaisie dans leur emplacement comme s’il y avait eu un petit courant d’air ». Elle répondait déjà à cette grande question de l’art informatique : qui est l’artiste ? Qui crée : l’homme ou la machine ? Pour Vera Molnar, qui travaille beaucoup avec l’histoire de l’art pour la réinterpréter ou la détourner, il est clair que rien ne remplace l’artiste : la machine n’est qu’un outil qui « change le voir », et l’accouche des multiples possibles qu’il porte en soi.
• Commissaire : Fabienne Grasser-Fulchéri