Les dessins s’alignent avec sobriété le long des murs de la galerie. On reconnaît, dans certains d’entre eux, des travaux bien connus de l’artiste, tels les «éléments pour la rue» ou les «angles». Pourtant le dessin n’est pas une esquisse de l’objet concrétisé; de fait, il ne ressemble en rien à une recherche préalable, sujette aux modifications. Ce n’est pas non plus une maquette ou un plan: manquent les indications techniques, les dimensions, l’échelle. Seuls sont tracés, très nets, les contours de l’objet, laissant le fond en réserve.
On ne peut y voir davantage la représentation après coup de l’objet, sa reproduction en un dessin documentaire, car le dessin est épuré, dépourvu de la plasticité, de la densité, de la matière de la réalisation concrète.
Sans doute alors peut-on interpréter le dessin comme la transposition de l’objet sur l’espace de la feuille, objet qui prend alors son autonomie complète par rapport à sa version en trois dimensions, sinon dans sa forme, du moins dans sa fonction.
Revenons sur le travail tridimensionnel de Veit Stratmann. Il consiste à insérer dans l’espace un dispositif discret, presque anodin (des plates-formes, des balustrades, des sièges). A partir des contraintes imposées par le dispositif, le regardeur qui y prend place crée on propre point de vue, isole un espace, sélectionne un paysage.
Réduits aux deux dimensions de la feuille, ces mêmes dispositifs changent de statut puisqu’ils deviennent, cette fois, le point de mire du regardeur. Mais en raison de la discrétion de leurs contours, leur caractère objectal s’atténue au profit du découpage de l’espace bidimensionnel qu’ils déterminent et qui devient l’aspect prépondérant du dessin.
Au fond, on n’a pas besoin de connaître les travaux concrets dont les dessins reprennent la silhouette. Leur façon de s’insérer sur la feuille suffit à satisfaire l’intellect.
Le reste de l’exposition, c’est-à -dire les dessins où l’on ne reconnaît aucune des réalisations de Stratmann, le confirme. Le papier, blanc ou transparent, est parfois quadrillé, rythmé de lignes verticales ou divisé par une bande plus large; ailleurs, deux lignes perpendiculaires se rencontrent; ou bien elles apparaissent en réserve sur un fond entièrement rempli; des lignes s’incurvent, d’autres s’ajustent en rayons disposés circulairement. Si le noir (qui est ici une couleur neutre) domine, le rouge est aussi utilisé. S’agit-il de coupes? de plans? Ni l’un ni l’autre, mais une expérimentation spatiale, faite de découpages, de déplacements, de séparations.
Chaque dessin est isolé du mur par un encadrement gris, neutre et froid. Le regard se contente de cette propreté clinique, de ces dessins où rien ne dépasse, et qui ne brutalisent pas l’œil, le lavent de toute émotion, le délestent de tout fantasme. On se dit que, depuis le constructivisme, on a parfois besoin de cures hygiéniques. On n’en sort pas beaucoup changé, peut-être un peu refroidi.
L’artiste Veit Stratmann est né en 1960 à Bochum (Allemagne). Actuellement, il vit et travaille à Paris.
Traducciòn española : Santiago Borja
English translation : Laura Hunt
Veit Stratmann
— Plate-forme moquettée, 2005. Encre sur calque. 49 x 64 cm.
— Grignan/Brompton, projet définitif, 2006. Encre, crayon sur papier. 43,5 x 35 x 1 cm encadré.
— Coin, projet pour Caixa Forum, Barcelone, 2005. Encre sur calque. 64 x 100 cm hors cadre.
— Schéma et projet, espace d’exposition de l’école des Beaux-Arts de Tours, 2004-2005. 6 plans. Encres et laques sur papier. (100 x 130 cm) X1, (64 x 100 cm) x 3, (64 x100 cm) x 2 hors cadre.
— Schéma du comptoir du Nylon, 2005. 4 plans. Encre et laque sur calque. (100 x 64 cm) x 3 hors cadre.
— Schéma du parc de Serralves, Porto, 2006. Laque et encre sur calque. 130 x 100 cm hors cadre.