Rareté
Chorégraphie : Amala Dianor
Avec : Amin Benassa, Cédric Gueret, Angélique Petit
Beatboxeur : L.O.S / Vidéaste : Sheyebb
Un(e) marié(e), un flic new-yorkais, une femme fatale entourée de ses prétendants, des écoliers se disputant une friandise, un présentateur télé, un sportif de haut niveau… Bienvenue dans le manège de la vie d’Amala Dianor, dont la dernière création, Rareté, en est une.
Si la logique régissant l’enchaînement des séquences n’est autre que celle d’un zapping généralisé, le spectateur, pour autant, n’est aucunement réduit au statut de téléspectateur passif s’en remettant mollement aux chiffres de sa télécommande..
Car les corps auxquels nous avons affaire ici n’ont pas la présence glacée et effacée des figurines qui se cachent derrière la vitre de notre petit écran : au contraire, ils sont bel et bien vivants, et ne manquent pas de le manifester, tenant à distance – en jouant avec – tous les clichés afférents à leur personnage.
Ce sportif, par exemple, est assez particulier : on dirait un athlète qui n’en finirait pas de se préparer à accomplir une performance… mais laquelle ? Tous les pré-gestes annonçant le grand saut sont exécutés méthodiquement, scrupuleusement : il se frotte les mains avec de la magnésie, il se baisse, semble s’échauffer, et… hop ! Il ne s’est rien passé. Enfin presque : on a cru déceler un numéro de cheval d’arçon, à moins que ça ne se soit qu’un de ces tours de passe-passe dont les danseurs de hip-hop ont le secret.
Après tout, n’est-ce pas cela qu’on est venu voir ? Du hip, hop ! Hip « pop » dirait le présentateur télé fantoche, qui, après nous avoir présenté le versant « pop » de son émission, met le doigt dans l’engrenage du « hip » : c’est alors un numéro complètement fou d’une beat box qui s’emballe auquel assiste le public – transformé pour l’occasion en foule en délire d’un plateau télé sans chauffeur de salle.
Les écrans, eux, se succèdent, à l’image de ces panneaux blancs traversant régulièrement la scène, et qui jouent tour à tour le rôle de toile de projection comme de mur occultant.
Devant, derrière, dedans, dehors : de quel côté de l’écran sommes-nous, et qui est « mis en boîte » ? Au début et à la fin de la pièce, un rectangle de lumière ouvre et ferme la danse comme une séance de cinéma, mais deux silhouettes s’en détachent – ce sont celles, bien humaines, de deux êtres de chair et d’os : un homme et une femme.
Windungen
Chorégraphie : Emanuel Gat
Musique : Windungen pour 12 violoncelles de Iannis Xenakis
Lumières : Emmanuel Gat
Avec : Adam Alli, Gaëtan Brun Picard, Vincent Simon, Abdellatif-Salem Sobihi, Fabrice Taraud.
Windungen. Méandres. Cinq interprètes sont pris dans les méandres qui les relient les uns aux autres, ainsi qu’à eux-mêmes, comme les cordes d’un violoncelle dont le manche suivrait la forme d’une vague.
Il est impossible de dire quelle est exactement la part d’intrication mutuelle dont ils cherchent à se défaire. Il semble qu’un coryphée se détache mécaniquement, que les autres répètent ses gestes pour se mettre à l’unisson – mais non, des ajustements sont déjà en train de se faire de l’autre côté, avec un nouveau décalage, et peut-être un nouveau coryphée à venir, qui s’ignore encore.
A coup d’ondulations et de secousses, comme une corde serpentine qu’on tendrait subitement, Emmanuel Gat travaille la matière musculaire de ses interprètes comme Xenakis sculpte le son contenu dans les 12 caisses de résonance des 12 violoncelles – thorax ondulants dont la voix est une danse, le souffle un mouvement sec.  Mêlant avec une virtuosité confondante les techniques dites de release propres à la danse contemporaine, et celles – beaucoup plus toniques – de pop, spécifiques au hip hop, Gat parvient à donner l’image saisissante de corps à la fois traversés par une dynamique sinueuse, et déchargeant celle-ci à son passage – au sens d’une décharge électrique.
A la fois actifs et passifs, bercés et décidés, cinq danseurs se laissent porter par ce qui les emmêle, lacets imaginaires leur donnant l’occasion d’un dialogue inédit avec ce mouvement intérieur et extérieur qui les implique – qui nous implique toujours d’une façon ou d’une autre.
Se désintricant peu à peu, chacun en vient finalement à s’ex-pliquer devant ce premier public que constitue alors la communauté des autres danseurs, tout en leur demeurant souterrainement relié. Chacun s’éploie, se déploie à sa manière, et donne à voir les soubresauts enlacés tissant les nerfs avec l’air, l’air avec les nerfs.