Avant même d’avoir pu apercevoir les œuvres, le visiteur est accueilli par des affichettes qui lui recommandent vivement de ne pas y toucher. On en saisit la raison dès la première salle : s’y tiennent des caniches à la fourrure bouclée et bien peignée, réalisée à l’aide de mousse à raser. Celle-ci semble tenir par prodige — mais il faut croire que les produits les plus chimiques ont une résistance hors du commun. Une vague odeur synthétique flotte désagréablement.
Ces caniches apparemment tout juste sortis d’une séance de soins esthétiques sont l’image kitch de la beauté de magazine : impeccable mais artificielle. Promis à une décrépitude accélérée (il faut réajuster leur brushing de mousse toutes les trois semaines), ces chiens prennent place dans une vaste vanité qui occupe toute la galerie.
Par un glissement à l’intérieur du champ sémantique du chien, l’exposition se poursuit par des squelettes montés en croquettes. Quelques rondelles de bacon se glissent entre leurs articulations.
Nourriture, pourrissement, mort sont organiquement mêlés. Sur le mur, de répugnantes araignées sont composées de substances (de la purée de légumes par exemple) qui les rendent paradoxalement comestibles. Ces matériaux premiers ayant à peine été transformés, leur relation avec les bestioles est des plus troublante.
On est loin ici des pâtes d’amande en forme de fruits ou de figurines. Mais il ne s’agit pas non plus d’araignées noires et velues empruntées à Harry Potter. Si l’araignée est monstrueuse, c’est parce qu’elle semble figée au milieu d’un processus de transformation inachevé, ou parce qu’elle serait le résultat d’une hybridation ratée.
L’œuvre est celle de l’apprenti-alchimiste qui s’est aperçu, au cours de son expérience, que l’art reste à jamais un artifice. Dès lors, elle se laisse examiner sous toutes ses coutures sans exercer moins d’attrait que d’effroi.
La sensation mêlée que suscitent ces travaux est plus exacerbée encore dans la seconde salle de l’exposition. Une table y est dressée, présentant des fruits et des légumes posés ça et là avec cette négligence apparente propre aux natures mortes. Aperçue dans l’encadrement de la porte, la table attire comme on serait alléché par un festin. Là aussi, une odeur est perceptible, un peu douçâtre, à la fois agréable et vaguement écœurante.
Cette fois, les fruits et les légumes sont réels, mais enduits d’un mélange de substances chimiques et organiques qui les enrobe d’une apparente moisissure. Pourtant ce n’est justement pas de la moisissure, et ces couleurs fades, ce velouté ne sont pas totalement dégoûtants.
S’agit-il bien d’une vanité? Contrairement à la vidéo Still-Life de Sam-Taylor Wood (2001) qui nous fait assister, en accéléré, au pourrissement des fruits, les signes de la décomposition sont ici déjà là ; ils ne sont pas le fait de la nature, mais des pratiques illusionnistes de l’artiste. Tels des décorations précieuses, ou comme le sucre des pâtes de fruits, ils attirent.
La décomposition est aussi une transformation, c’est-à -dire une modalité de l’art.