«La vallée des merveilles» présente, sous ce titre enchanteur, un ensemble de photographies argentiques, de vidéos super 8 et d’installations gonflables, qui donnent un aperçu de ce magistral paysage montagneux situé à la frontière franco-italienne, à une cinquantaine de kilomètres de Nice. Classée monument historique depuis 1989, et dominée par le Mont Bego, cette vallée culmine à plus de 3000 mètres d’altitudes, et abrite près de 40 000 gravures sur les rochers et les parois qui la composent.
Ce sont d’ailleurs ces graffitis qui ont attiré l’œil de Philippe Durand lors de ses pérégrinations dans la nature. Car si la photographie d’un versant de la vallée occupe tout un mur du Crac de Sète, et donne ainsi la dimension du site à l’échelle 1, Philippe Durand se focalise plus particulièrement sur les roches de la vallée, marquées de nombreux dessins, sigles et signatures humaines. En effet, les photographies rendent compte d’un paysage naturel, que l’on pourrait penser vierge de prime abord, mais qui porte en réalité de nombreux signes trahissant une présence humaine très ancienne.
Les graffitis de la vallée datent, pour certains, d’il y a 5000 ans. Sur un site qui s’apparente à un vieux sanctuaire, ces graffitis esquissent notamment deux étranges figures qui parsèment abondamment les parois des rochers: le dieu Taureau, représenté par des cornes, et la déesse Terre, qui forment un couple mythologique symbolisant la fertilité. La valeur cultuelle de l’art et de ces quelques figures contraste toutefois avec des gravures plus prosaïques. Certaines datent de la Renaissance, d’autres témoignent du passage de soldats ou de bergers (une gravure dessine les traits d’un homme de profil portant un béret, en train de fumer). Une lame de couteau et la signature d’un certain Batista se répètent maintes fois. Un quadrillage évoque la division des terres en différents lopins. Plus étonnant, on reconnait les Twin Towers, malgré l’interdiction de graver quoi que ce soit sur le site depuis 1954.
Ainsi, si différents âges de l’humanité se côtoient ici, on restera cependant plus sensible à la beauté qu’offre le paysage en tant que tel. Les roches lisses à cause de l’érosion et de la fonte des eaux du glacier. Les lignes de faille et de fracture de la pierre, les veines qui parcourent sa surface. Les contrastes entre les zones ensoleillées et les zones ombragées qui découpent au cordeau les arêtes des cailloux. La roche violette traversée de gravures blanches, tachée de lichens jaunes. Les mousses, les herbes folles et les fleurs qui offrent tout un panel de textures.
Mais au-delà de ces photos argentiques, Philippe Durand invite les spectateurs à se confronter au site «grandeur nature», à investir le paysage, à l’habiter, plus qu’à le contempler. Le grand tirage mural que nous évoquions sert alors de transition entre les clichés et les installations gonflables de l’exposition. On rentre littéralement dans le paysage au lieu de seulement l’admirer à travers quelques fragments photographiques.
Là , la photo argentique cède le pas à des impressions numériques sur des structures gonflables, qui ne sont pas sans rappeler les parcs d’animation pour enfants. On est invité à s’allonger, à se prélasser sur les faux rochers. Et à se laisser hypnotiser par les vidéos super 8 qui recouvrent les murs sombres de la salle d’exposition. Les herbes et les épis volent au vent, frémissent, et offrent au spectateur une expérience immersive.
La position de Philippe Durand demeure toutefois plus ambigüe qu’il n’y parait. En fondant sa pratique sur la promenade et la déambulation, ne renoue-t-il pas avec l’attitude flâneuse et le regard curieux du touriste? L’appellation de «vallée des merveilles» rappelle certes la titraille d’un conte populaire, mais surtout les slogans d’un office de tourisme ou d’un article de presse locale vantant la beauté du patrimoine régional. En accolant le chiffre «2» au nom du site, l’artiste semble même rejouer les stratégies mercantiles des reconstitutions des sites préhistoriques – on pense notamment aux grottes de Lascaux baptisées ainsi «Lascaux 2». Comme si les structures gonflables de l’exposition se contentaient de se mettre au même niveau qu’un simple Luna Park…