DANSE | SPECTACLE

Avis de Turbulences | She Was Dancing

26 Sep - 26 Sep 2019

La pièce chorégraphique She Was Dancing, de Valeria Giuga, part d'une scansion un peu éteinte. Transformé en litanie mécanique, le portrait d'Isadora Duncan, par Gertrude Stein, quadrille d'abord rigoureusement l'espace. Mais au son de la batterie le carcan se fissure, renouant avec l'énergie créatrice.

Avec She Was Dancing, la chorégraphe Valeria Giuga (Cie Labkine) présente une pièce chorégraphique en forme d’hommage. Un hommage qui ose la bifurcation. Moment de collision, il y a d’abord deux immenses figures de la création moderne : la chorégraphe Isadora Duncan et la poétesse Gertrude Stein. La pièce She Was Dancing mobilise d’une part le solo La Mère (1921) d’Isadora Duncan (1877-1927). À savoir une pièce d’une grande douceur, épurée, aux évocations à la fois minimalistes et pré-contemporaines (danse libre). Et d’autre part le poème de Gertrude Stein (1874-1946), Orta, or One Dancing (1912), un portrait à la scansion chorégraphique d’Isadora Duncan. Mais le She Was Dancing de Valeria Giuga ne se limite pas à rejouer La Mère au son d’Orta, or One Dancing. Trois danseurs y évoluent d’abord à l’unisson, au son monocorde d’une lecture faite par un poète, lequel se met ensuite à la batterie.

She Was Dancing de Valeria Giuga : réanimer Gertrude Stein et Isadora Duncan

Pièce pour trois danseurs — Valeria Giuga, Roméo Agid, Aniol Busquets — et un poète — Jean-Michel Espitallier —, She Was Dancing commence par égrener. Mécaniques, les interprètes scandent. Leurs mouvements, leurs mots. Avec une régularité métronomique d’horloges. Jouant sur le par cÅ“ur, s’y combinent des fragments d’Orta et de La Mère. La danse libre d’Isadora Duncan est mise au pas. Les scansions de Gertrude Stein, entre bégaiement et scat, sont homogénéisées. Le trouble un peu absurde est accentué par l’étrange ressemblance entre les danseurs, avec leur perruque brune, identique. DésÅ“uvrement monotone, une forme d’ennui enveloppe le tout. Mais l’uniformité commence à se fissurer, Jean-Michel Espitallier s’empare de la batterie, et un rythme propre, vivant, revient irriguer l’espace. La froide aridité de la chorégraphie et de la lecture voit refleurir un peu de chaleur humaine, chaotique.

Retrouver du chaos pour créer, avec le poète Jean-Michel Espitallier à la batterie

Pièce non cyclique, She Was Dancing débute par une chorégraphie strictement écrite. Les mots de Gertrude Stein imposent leur cadence aux danseurs. Texte à partir duquel le poète Jean-Michel Espitallier aura recomposé un montage, fait de boucles et permutations. Litanie mécanique, chacun s’achoppe à la rigueur des modèles. Gertrude Stein en poésie, Isadora Duncan en danse. Autant d’héritages pesants, dès lors qu’ils interdisent toute création, ou servent à justifier la perpétuelle reproduction du même. Appropriation dynamique, She Was Dancing déploie un affranchissement. La poésie glisse alors vers la batterie, à la recherche de rythmes, qu’elle trouve. Et la danse s’embarque vers des contrées loufoques, dans la veine du défoulement. Le contrôle et le self-control relâchent la bride, ouvrant ainsi la voie à la création. Pour le festival de danse Tours d’Horizons 2018, Valeria Giuga va même voir dehors si elle y danse, avec une version plein air.

Itinéraire du spectacle (non exhaustif) :
– Théâtre de L’étoile du nord (Paris), dans le cadre du festival Avis de Turbulences, le 26 septembre 2019.
– Musée des Beaux-Arts de Tours, dans le cadre du festival Tours d’Horizons, le 7 juin 2018.

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