Communiqué de presse
Valentin Carron
Valentin Carron
Il faut toujours prendre Valentin Carron au mot. Bertrand (2010), une oeuvre en verre laqué, moulée sur ses propres jambes, nous offre un portrait de l’artiste peu flatteur: deux pieds, les orteils décontractés, dans des chaussettes trouées.
Bertrand rappelle en premier lieu d’autres oeuvres plus anciennes (et peu connues en France), où Valentin Carron déclinait des figures d’une masculinité de célibataire triste, comme son improbable glace au tabac, un coupe-ongle en or ou la paire de pantoufle en cuir dimensionnée aux pieds de l’homme le plus grand du monde. Si l’on entend «Bertrand» comme le nom générique du pilier de bar ou du marginal du quartier, son destin médiocre nous renvoie une image à mille lieux des clichés de l’artiste sur-professionnalisé, jeune, riche et bien portant d’aujourd’hui.
Il faut retourner aux années 1980 pour trouver la dernière occurrence de cette formule de l’artiste antisocial, représenté alors comme barbouilleur régressif, alcoolique et de préférence germanique. Sachant que c’est de cette même époque que remonte l’invention du modèle de l’artiste-entrepreneur façon trader, l’image apparemment réactionnaire de Valentin Carron ne serait donc pas tant un constat conservateur que «vache», dans le sens où l’entendait Magritte lorsqu’il peignait en 1948 Jean-Marie, le portrait d’un voleur de poule à la jambe de bois fuyant après un larcin.
Venant de la part d’un artiste qui prétend passer ses journées à reproduire à l’échelle 1/1 «le sujet de son abjection», on aurait tort de douter du sérieux de l’humour âcre de Valentin Carron. Cette ambiguïté perpétuelle, assumée et maîtrisée, entre ce qui pourrait passer pour de l’ironie et ce qui demanderait à être pris, au contraire, au premier degré, est le lieu d’insoumission perpétuel de l’oeuvre.
Une des plus grandes forces du travail de Valentin Carron est sa capacité à concrétiser ces jeux d’équivoques moraux au travers de tensions stylistiques et matérielles propres à l’histoire de la sculpture. Le vernaculaire et le moderne, le fait main et le manufacturé, l’original et la copie, l’académique et l’avant-gardiste, etc. Ainsi, Einhorn (Licorne, 2010) une progression géométrique en quatre éléments inspirée de l’art minimal classique, et exécutée à partir d’un élément décoratif de ferronnerie de villa de classe moyenne.
Sauf qu’ici, ces barres torsadées ne sont clairement pas le produit d’un serrurier mais d’un moulage, tout comme les clous, les vis et la patte de faucon qui servent d’attaches à une série de nouvelles oeuvres sur papier, mi-paysages atmosphériques, mi-abstractions radicales (Sans Titre, 2010). L’oeuvre de Valentin Carron est éminemment non-dialectique, et la tension entre tous les différents termes qui l’a composent n’est jamais complètement résorbée. De fait, les chimères qu’il offre à notre regard ne cessent de nous placer, un peu contre notre gré, dans l’inconfortable position d’arbitre idéologique.