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V12 Laraki

L’œuvre unique qu’Eric van Hove présente au CCC correspond à la reconstitution, à l’échelle, d’un moteur 12 cylindres dont l’histoire est un peu particulière. Abdeslam Laraki, constructeur automobile casablancais, conçoit il y a une dizaine d’années une voiture de sport, la Fulgura, entièrement produite au Maroc, à l’exception du moteur, qui provient des usines Mercedes.

C’est à partir de ce constat d’incomplétude qu’Eric van Hove, dont c’est ici la première exposition personnelle en France, décide d’achever, à sa manière, le projet Fulgura. Pendant à peu près un an, l’artiste va faire réaliser par une quarantaine d’artisans marocains l’ensemble des 465 pièces du moteur d’origine, mais chaque réplique sera confectionnée à la main, à partir de matériaux et de techniques propres au métier de chacun d’entre eux.

Ainsi trouve-t-on dans cette nouvelle version des bielles en bois, des engrenages taillés dans la corne ou dans l’os, des durites en cuir tressé, des carters en céramique émaillée, des éléments en acier martelé, en cuivre jaune ou rouge finement ciselés et ornés, etc., à l’image de ces objets, bijoux ou mobiliers dont la facture typique du Maghreb fait la joie des touristes. Une liste exhaustive des techniques et matériaux utilisés est d’ailleurs diponible sur place, ainsi qu’une série de patrons de confection, à proximité du moteur qui est exposé entièrement monté.

Pour Eric van Hove, artiste voyageur qui revendique et pratique le nomadisme culturel (de nationalité belge, il est né en 1975 en Algérie, a grandi au Cameroun, étudié la calligraphie au Japon, participé à des expositions en Palestine, aux Etats-Unis, au Kyrgystan, en Afrique du sud…), l’essentiel réside aussi et surtout dans la somme des rencontres que ce projet a sollicitées et dont il s’est enrichi, des savoir-faire traditionnels et populaires qu’il a choisi d’agréger et de mettre en avant, à rebours de l’anonymat strictement mécanique des process et des performances industriels.
Dans sa note d’intention préparatoire au projet, l’artiste écrit: «L’un des grands défis relevé par les arts décoratifs […] était ainsi d’allier l’art et l’industrie : d’adapter la création artistique à la mécanisation et à l’industrialisation croissante de la société de la seconde moitié du XIXe siècle. […] Dans le projet que je propose, il ne s’agit pas de mécaniser ce qui était jusqu’alors du domaine des artisans, mais bien d’opérer une sorte de retour, en usant de techniques artisanales afin d’humaniser métaphoriquement certaines prouesses industrielles témoins d’un monde révolu, de les remettre au jour d’un “sacré” populaire».

L’objet, massif et compact, posé sur son caisson de transport, lui aussi ouvragé, comme sur un socle qui lui serait solidaire, donne le double sentiment d’être à la fois ouvert au regard et fermé sur lui-même. Au sens propre, tout d’abord : à la multiplicité des formes (pourtant déterminées par celles des pièces originales) et à la diversité des matières (malgré tout spécifiques à chaque métier mobilisé pour le projet) s’ajoute leur ajustement dense qui provoque des combinaisons insolites et invite à en inspecter sans fin les détails ; dans le même temps, la présentation du moteur assemblé (un choix que Eric van Hove a fait pour le CCC) masque inévitablement de nombreux éléments internes.
Au sens figuré, ensuite: si le projet V12 Laraki ressortit d’une véritable aventure artistique et humaine, d’une expérience à la fois personnelle et collective, son exposition est aussi un vecteur de distance. Car cette aventure, nous ne la vivons que par procuration ou représentation ; et cette expérience est avant tout, voire seulement, celle de l’artiste, dont l’œuvre exposée ne peut être que le témoignage a posteriori. Dans une interview accordée à Shift Art Magazine, quelques années plus tôt, Eric van Hove avait d’ailleurs suggéré qu’«il est possible que la notion de “regardeur” de Duchamp trouve graduellement son équivalent dans celle d’étranger».

La seule rencontre possible pour le spectateur reste donc celle de l’œuvre, où l’art et l’artisanat semblent se conjuguer et se répondre, de part et d’autre d’un troisième objet de référence, modèle finalement invisible: le moteur original de la Fulgura, objet industriel par excellence.
S’il est judicieux de ne pas s’en tenir au jeu forcément ironique d’un moteur «fait main», plaisanterie qui s’épuise vite sans pour autant épuiser la relation à l’œuvre, l’erreur serait à l’inverse de croire à la réalité d’un brassage, d’un décloisonnement des disciplines, entre art, artisanat et industrie ; car s’ils ont lieu, c’est paradoxalement dans la mesure où chaque chose reste à sa place : l’exposition et l’œuvre continueront leur chemin à la biennale de Marrakech, non dans un souk ni dans un bureau d’études. Dans un texte écrit en préparation à l’exposition au CCC, l’artiste évoque «un objet postfordiste et sacré qui dépasse la somme de ses parties». Sans aller jusqu’à sacraliser l’objet en question, on insistera sur sa nature foncièrement hybride: issu d’un projet industriel et produit par l’artisanat, V12 Laraki n’est pourtant ni l’un ni l’autre, et plaide en ce sens pour l’indétermination du geste et de l’activité artistiques en tant que tels, qui est peut-être leur trait caractéristique.

Œuvres
— Eric van Hove, V12 Laraki, 2013. Matériaux et techniques mixtes. 180 x 150 x 150 cm.

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