ART | CRITIQUE

V Gardens

Pg_Vallois16JeanTinguely01bTroika
@15 Juil 2011

Les installations conceptuelles et narratives d'Amy O'Neill créent des ponts entre événements passés et actualité et montrent l'influence de la mémoire sur le présent. Elle ré-imagine l'histoire de son pays, les États-Unis, et l'analyse pour comprendre et critiquer certains aspects du monde contemporain.

La troisième exposition personnelle d’Amy O’Neill à la galerie Praz-Delavallade est une caricature de parcours bucolique. Le titre «V Gardens» est d’ailleurs tiré des Victory Gardens que la population américaine cultivait durant les Première et Deuxième Guerres mondiales à la demande du gouvernement. Alors que les ouvriers agricoles étaient engagés dans l’armée, ces jardins potagers devaient permettre de nourrir les civils et de leur remonter le moral.
Cela à partir de l’idée que le jardinage encouragerait à donner le meilleur de soi, et accroîtrait la confiance en un avenir meilleur. L’État voulait surtout, dans un dessein protectionniste, favoriser le patriotisme au travers de la promotion du travail.

Trois photographies noir et blanc de cette époque montrent la propagande des «V Gardens». Dans la première, une carotte souriante juchée sur un bÅ“uf, un oignon extatique à califourchon sur un porc, une barricade immaculée et des tournesols ouverts habitent béatement un paysage en carton pâte. Entre célébration et commémoration, ce décor enfantin incitait à s’investir dans une activité socialement utile, voire altruiste: le jardinage.
Sur une seconde image, un groupe d’hommes hilares joue les musiciens à l’aide de courge, aubergine et concombre en guise de trompette et de flûte, d’épis de maïs en guise de baguettes de tambour, etc.
Puis sur une troisième image, des fillettes en robes vichy et nœuds dans les cheveux présentent le produit de leur labeur dans de généreux paniers tressés.
Plus loin, trois gros plans du logo «Potatoes» — un nÅ“ud comme une décoration militaire sur des sacs de pommes de terre — sont disposés les uns au-dessus des autres dans un tirage couleur. Toutes ces mises en scène montrent la politique de l’époque qui associait positivement santé à bonne humeur, jardinage à camaraderie, force d’action à optimisme.

Pour ses installations, Amy O’Neill réutilise le drapeau américain dont le motif particulièrement identifiable symbolise la fierté nationale.
Après s’être imposé, dans un précédent accrochage, Pilgrim Motel, l’exercice plein de sens de déconstruire le dessin du drapeau américain, elle reprend pour l’exposition «V Gardens» le même drapeau en lui donnant cette fois la forme d’un jardin cultivé.
Un patchwork matelassé en vert, jaune et noir fixé au mur propose une analogie entre le drapeau rayé et la topographie d’un champ agricole. Au sol, la structure du drapeau est ensuite reprise en deux versions, l’une en gamme marron et l’autre en gamme verte, au moyen de boudins en toile et d’un coussin.
Les bandes en volume évoquent les sillons d’une terre prête à être semée mais aussi les sacs de sable protégeant les soldats dans les tranchées. Champs de labour et champs de bataille sont donc associés, germes et soldats comparés.

Puis il y a l’épouvantail. Sur un porte-manteau en bois, des tissus bleus et beiges pendent et font un personnage à la tête en sac de toile, tel un membre terrifiant de clan secret. En fait l’épouvantail représente le gouvernement lui-même qui protège ici sa population de tous les dangers extérieurs et même de celui de l’intérieur que serait un éventuel manque de patriotisme. La terre étant le sol sacré de la patrie, il faut la protéger et la faire fructifier.

Amy O’Neill sait être pédagogue. Dans sa version du passé, les faits historiques deviennent fantastiques et chargés de significations. Ce travail sur la mémoire est aussi un travail sur la culture. Au travers de la métaphore de la culture-jardinage, c’est la culture comme élément caractéristique d’un pays qui est visée. Le problème du nationalisme est abordé à partir de cette idée: Comme on cultive son jardin, l’État cultive ses citoyens.
Artiste sensible et libre, Amy O’Neill exerce son activité d’artiste d’une façon que définit ainsi Florence de Méredieu dans son Histoire matérielle & immatérielle de l’art moderne: «Le rôle de l’artiste, sa fonction, au sens « organique » du terme, est bien de transformer l’homme et la société». L’art étant alors un dispositif de questionnement et d’engagement.

Å’uvres
— Amy O’Neill, Deconstructing 13 Stripes and a Rectangle-Spur, 2011. Toile de jute et sable. 90 x 146 x 6 cm.
— Amy O’Neill, Deconstructing 13 Stripes and a Rectangle-Spring, 2011. Toile de jute et sable. 100 x 150 x 6 cm.
— Amy O’Neill, Deconstructing 13 Stripes and a Rectangle-Spring Quilt, 2011. Coton et bois. 114 x 162 x 6 cm.
— Amy O’Neill, Scarecrow, 2011. Toile de jute et bois. 195 x 46 x 46 cm.
— Amy O’Neill, Victory Maidens, 1943-2011. Photo noir et blanc. 35,6 x 43,18 x 6 cm.
— Amy O’Neill, Victory Garden Festival Entrance, 1943-2011. Photo noir et blanc. 35,6 x 43,2 x 6 cm.
— Amy O’Neill, Flutes and Vegetables, 1943-2011. Photo noir et blanc. 35,6 x 43,2 x 6 cm.

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