Amy O’Neill
V Gardens
Parmi les images d’époque de ces jardins que l’artiste a rassemblées, plusieurs montrent des jeunes filles souriantes respirant la santé et posant avec les fruits de leur labeur. Elles sont présentées non seulement comme de futures ménagères, mais aussi comme des mères à venir. Les affiches de propagande de l’époque portent des slogans comme: «Semez les graines de la Victoire — Chaque potager est une usine de munitions». Les «graines de Victoire» font penser à la procréation et au jardin originel, dont nous sommes tous censés être issus: Dieu et le pays.
Les «jardins» d’O’Neill empruntent leur structure au drapeau américain, une caractéristique qu’ils partagent avec les drapeaux déconstruits produits par l’artiste en 2008-2009 qui formaient une grande partie de son exposition, «Pilgrim Motel». Ces drapeaux, au titre générique de Deconstructing Thirteen Stripes and a Rectangle, apparaissent en lambeaux, comme déchirés par les batailles, portant les traces de vaillants efforts pour défendre la liberté.
Dans les oeuvres de «Victory Gardens», la configuration en drapeau est composée d’étroites bandes de sacs de jute remplies de sable. Ce sont donc des sacs de sable autant que des drapeaux. Les sacs évoquent de manière appuyée les protections de champs de bataille et la guerre des tranchées de la Première Guerre mondiale, ainsi que les digues de fortune construites pendant les inondations afin de renforcer les rives et les barrages. Mais n’oublions pas que se draper dans le patriotisme peut aussi revenir à s’enterrer la tête dans le sable, donc métaphoriquement à refuser de voir les choses telles qu’elles sont et d’affronter les faits.
Ces oeuvres ont été produites en différentes dimensions; la plupart correspondent à la taille des drapeaux flottant sur les maisons américaines. Avec leur configuration en drapeau et leur disposition basse ou sur le sol, ces oeuvres sont à considérer comme des anti-monuments. Créés en temps de guerre, et face à la perspective de conflits perpétuels de par le monde, les jardins symboliques d’O’Neill apparaissent plus comme en jachère que fertiles. Un épouvantail silencieux les surveille. Il monte la garde dans un champ vide où rien n’est à protéger.
Les toutes dernières oeuvres d’O’Neill font se rejoindre résignation et espoir. 2011 la trouve en train de planter, métaphoriquement parlant, des «Jardins de Victoire» dans des galeries et des expositions, accomplissant en quelque sorte son «service sur le front domestique». Avec les années, on peut voir comment ses préoccupations thématiques, ses sujets et son histoire personnelle s’entrelacent — un processus illustré par des images réciproques: le drapeau déchiré et la terre labourée du jardin.
O’Neill est une sorte de conteuse. Bien que les personnages et les lieux qu’elle nous décrit sont le plus souvent amusants et légers, sa vision a sa part d’ombre. Dans son monde, il n’y a pas de place pour la nostalgie sentimentale du passé. Elle nous rappelle plutôt que le passé, même s’il peut se réconcilier avec le présent, reste en nous et nous hante. Le passé est une lentille qui nous permet d’observer les situations dans lesquelles nous nous trouvons. Amy O’Neill est une artiste dont le projet s’inscrit à la fois dans et à contre-courant de la pensée américaine.
critique
V Gardens