Frédérick Gravel
Usually beauty fails
Trois musiciens branchés sur le secteur, six danseurs chargés comme des bombes, l’énergie de la pop pour faire monter le beat, et celle du désir pour mettre le feu aux poudres. Le Québécois Frédérick Gravel chauffe les corps à blanc et fait péter les watts dans Usually Beauty Fails, une métaphore surréaliste et débridée sur le rapport à la beauté, le choc amoureux et le défi des relations. De la contrainte physique et du fort engagement des interprètes surgit un dialogue nerveux fait de corps projetés, de ruptures, de faux départs, de répétitions et de gestes avortés. Exit les clichés sur le genre, toutes les individualités sont affirmées qui jouent du bassin et du regard pour mieux troubler le public. Un métissage audacieux de culture populaire et d’art chorégraphique.
Une œuvre tonique et charnelle qui érige le conflit en art et porte les imperfections du vrai au rang des esthétiques les plus efficaces. Réunissant à nouveau danseurs et musiciens dans un espace où s’enchevêtrent les formes du concert et du spectacle chorégraphique, Frédérick Gravel joue avec les codes de la culture pop et de la danse contemporaine pour en questionner les canons respectifs. Bâtie sur une succession de vignettes à la manière de Gravel Works, l’œuvre s’égraine comme les chansons d’un album sucré-salé qui parleraient de la fureur de vivre, du rapport trouble à la beauté et de la difficulté à trouver des points de contact harmonieux dans les relations.
Le chorégraphe exacerbe la frontalité et s’attaque au jeu de la séduction dans des mouvements de groupe où les danseurs sont aussi vulnérables que provocants. Difficile pour le public de rester indifférent à cette silencieuse adresse. Mais d’une séquence à l’autre, l’atmosphère se transforme, on bascule dans un autre univers. Guitariste, danseur, parfois aussi chanteur, Gravel prend le micro à la manière d’un maître de cérémonie irrévérencieux qui écorche quelques poncifs sur la danse en même temps qu’il brise le quatrième mur.
Dans les sections où le duo traduit le paradoxe des relations que tout le corps appelle et que les esprits contrarient, il peaufine son esthétique de l’accident, faisant surgir le mouvement du conflit causé par une série de contraintes physiques. Combinaison de gestes chorégraphiés et de gestes-réflexes, la danse est le résultat d’une suite de frictions, d’accidents et de ratages qui révèlent la nature d’êtres doués d’une vitalité farouche. Pas d’exubérance, pas de lyrisme, de crise ni autre construction théâtrale. La danse est brute. La forte charge émotionnelle et sexuelle passe par les ventres et les regards. Corps dansants dans l’instant de l’instinct. Animalité et candeur de l’humain dépouillé des masques des apparences et des filtres du jugement.
Entité chorégraphique à part entière, la musique live vient donner un ton, une couleur, un sens ou, au contraire, vient défaire une image, balayer l’atmosphère comme un raz de marée. Parfaitement intégrés à la mise en scène, les corps des musiciens ramènent à la réalité de l’espace-temps du spectacle, offrant au spectateur une perspective plus large sur la fiction qu’il élabore à partir de l’abstraction de la danse.