Les soixante-seize collages de Gilbert & George exposés à la galerie Thaddaeus Ropac s’inscrivent dans la continuité d’un travail mené depuis les années 70, autour de cartes postales et de flyers en tous genres.
Depuis le début de cette (très) longue série, le processus est plutôt sommaire. Pour chaque collage, plusieurs exemplaires d’une même image (exceptionnellement de deux ou trois) sont disposés côte à côte, selon un tracé précis. Aux premiers temps, celui-ci était assez reconnaissable (généralement une croix: croix chrétienne, croix de Jérusalem, etc.) et par là même aisément sujet à interprétation.
Ici, la forme qui régit l’ensemble est plus insolite: par groupes de treize — douze formant un rectangle autour d’une treizième centrale —, les images configurent des sortes de drapeaux, présentés par le duo d’artistes comme des «versions angulaires du signe de l’urètre» («An angulated version of the sign of the urethra», est-il ainsi noté sous chaque assemblage).
Les images, quant à elles, sont de deux types : patriotique pour les unes (des clichés londoniens sur fond de drapeau anglais), à caractère sexuel pour les autres (en majorité des annonces, réclames et numéros de rencontres gay et transsexuelles).
Emblèmes nationaux et flyers communautaires servent ainsi d’étendards fédérateurs, un croisement entre nation et sexualité que signale à sa façon la représentation droite, orthonormée, calquée sur le célèbre «Union Flag», du méat urinaire.
Mais cette représentation permet surtout d’encadrer le regard sur un aspect moins officiel de Londres. Entre œil sexué et fenêtre donnant sur le mystère, la percée urétrale ainsi formatée ouvre sur le monde caché d’une sexualité «officieuse», privée de visibilité publique, dont l’existence nous est lointainement signalée par des messages anonymes, à l’esthétique caractéristique.
La présence sur les cimaises de ces annonces, numéros roses et autres appels à la consommation trans/homo/sexuelle — univers qui fait aussi la réputation de Londres — cernés par l’œil normé de l’urètre, fait se rejoindre intelligemment l’hommage et le voyeurisme, le su et le caché, et dessine pour nous une voix qui, derrière ces masques un peu tristes, a visiblement quelque chose à nous dire.
C’est surtout elle que l’on viendra entendre dans cette exposition, la partie «cartes postales» de l’ensemble étant plus anecdotique, et détonnant peu dans cette série qui dure depuis près de quarante ans.
— Gilbert & George, Urethra Postcard Pictures. Collages