ART | CRITIQUE

Untitled, 2010, Tomo Sovic-Gecan

PMuriel Denet
@25 Oct 2010

Occupant le foyer et la mezzanine du Jeu de Paume, l’artiste croate Tomo Sovic-Gecan déconstruit et réagence les matériaux spatiaux et temporels du dispositif d’exposition. Ce qui le rend à la fois, paradoxalement, doué d’ubiquité et insaisissable.

Dans le foyer et la mezzanine du Jeu de Paume, l’artiste croate Tomo Sovic-Gecan propose deux stations apparemment opposées: l’une blanche, lumineuse et vide, l’autre noire, à peine éclairée par un plan fixe sur écran plasma.

Le foyer est en effet une traduction littérale du fameux cube blanc de la galerie d’art, dans lequel, contre toute attente, il n’y a rien à voir. Un texte lapidaire informe préalablement le spectateur que son entrée influera sur les dimensions d’une autre salle d’exposition située à la Bergen Kunstall, en Norvège. Et qu’inversement, les visiteurs de la Bergen Kunsthall influeront sur celles du cube blanc du Jeu de Paume.

Les volumes des deux salles devraient donc diminuer au fil de l‘exposition sans que les agents déclencheurs de ce phénomène puissent le percevoir. Mais seulement le savoir. L’expérience esthétique est ainsi découplée de la sensation. Et cantonnée à sa seule dimension intellectuelle. Le spectateur intègre le processus d’existence de l’œuvre, est un élément décisif de son accomplissement, qui reste de l’ordre du virtuel, et échappe à toute représentation. Une fois la durée de l’exposition épuisée, il ne restera de l’œuvre que les textes qui en témoignent.

Et même lorsque Tomo Sovic-Gecan utilise des moyens voués à la représentation, comme la vidéo, ce qui est montré masque la pièce maîtresse du dispositif: toujours le cube blanc de l’exposition d’art.

Dans la mezzanine, salle obscure, un plan fixe, projeté en boucle, cadre ce qui semble être l’écran d’un cinéma de plein air, la caméra ayant pris la place du projecteur. Mais la nature reprend ses droits sur ce lieu désaffecté, l’écran est rongé par l’humidité, la végétation menace de l’engloutir. Rien ne se passe.
Il faut lire le dépliant d’information, pour apprendre que le cube blanc est accroché au verso de cet écran. Invisible, imperceptible, et pourtant bien là. Le redoublement du dispositif de représentation, loin d’être une finalité, est juste le moyen de rendre visible l’aveuglement du spectateur par l’écran blanc de la projection. Tomo Savic-Gecan déconstruit et réagence les matériaux spatiaux et temporels du dispositif d’exposition. Ce qui le rend à la fois, paradoxalement, doué d’ubiquité et insaisissable.

— Tomo Sovic-Gecan, Untitled, 2010. Installation au Jeu de Paume à Paris, et à la Bergen Kunsthall en Norvège.
— Tomo Sovic-Gecan, Untitled, 2010. Vidéo. 12 min.

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