Une fois restauré, que faire de ce qu’il est convenu d’appeler le « Grand Palais », cet édifice 1900, entrepris en 1896, remarquable pour sa structure en acier et sa verrière considérée comme une « prouesse architecturale » ? Personne n’en a idée ou même cure. Une gare SNCF destinée à remplacer celle d’Orléans ? Une succursale du musée d’Orsay, où l’on pourrait déménager, une n-ième fois, les impressionnants impressionnistes ? Plus personne n’aurait alors de raison valable de traverser la Seine. Une orangerie ou une serre ? OK, d’accord ! Sachez-le, ça se saura, ce sera la serre à Serra.
L’exposition, puisque exposition il y a, relève de l’exploit technique, du haut fait mécanique, de la performance, au sens sportif et non artistique du terme. On n’a pas cherché l’adéquation entre l’œuvre et son cadre. Chacun pourra le constater de visu. La « pièce » y est rapportée, y tombe plus à plat qu’à pic, comme si l’artiste l’avait préconçue sans souci de sa destination. Elle ne magnifie pas le lieu, qui n’en a nul besoin, n’en tire ni effet ni profit. La seule concession de l’artiste aux organisateurs parisiens est le titre, Promenade, octroyé en français — ce qui mérite d’être signalé. De fait, la sculpture, intéressante, magnifique, belle en soi, aurait été bien mieux à sa place n’importe où ailleurs qu’ici : dans un musée à angles droits, dans l’ancien jardin de Cartier à Jouy-en-Josas, dans un vaste espace public, dans un désert ou tout autre non-lieu…
Une fois connue la hauteur sous plafond, Serra n’avait plus qu’à faire fabriquer, par le sponsor ArcelorMittal, cinq stèles métalliques, des totems, menhirs ou tours quintuplées de 17 m de haut sur 4 m de large, patinées, zébrées et rouillées, en acier Corten ®, pesant, à quelques grammes près, 75 tonnes chacune et à les faire poser sans encombre (c.à .d. sans accident du travail), suivant l’axe longitudinal du grand jardin d’hiver à partir duquel celles-ci s’inclinent légèrement, latéralement, irrégulièrement de 1,69° sur le plancher des vaches de la grande nef.
Qui dit nef, dit, parfois aussi, galère. Et qu’allait-il faire dans ce guêpier Larrieu, après le hip-hop, après le Grand Ballet de Cuba aux Étés de la danse, après Carlson, qu’allait-il faire ce samedi 10 mai 2008 à 19h30 ? Une performance déambulatoire, avait-il annoncé, intitulée, en anglais, of course, pour faire moderne, Unlimited Walks. Une intervention chorégraphique de sa compagnie Astrakan réunie au grand complet, toute de noir vêtue, chaussée de baskets, tentant de « dialoguer » avec les cinq gigantesques modules.
La façon la plus élémentaire de considérer les objets mathématiques que sont les tôles ouvragées de Serra est encore de les arpenter en tous sens, ce à quoi s’emploie l’armée de danseurs lilliputiens, dans un premier temps. Le plus sérieusement du monde, les interprètes-géomètres évaluent la superficie des lieux (13.500 m2, si nos informations sont exactes), le champ libre, leur terrain de jeux. Ils toisent l’espace et non les spectateurs qu’ils évitent de regarder. Ils prennent des repères en levant les bras à angle droit, parcourent d’un pas décidé, de long, en large et en travers les distances qui les séparent des imposantes plaques d’acier et vérifient leurs relevés cadastraux. La danse mime à sa façon, sans la minimiser, la beauté pure, cistercienne, mathématique qui se dégage de la sculpture de l’héritier de Pevsner, Gabo et Brancusi.
Dans un deuxième temps, la grappe de danseurs se livre à une chorégraphie virtuose au milieu d’un cercle créé de toutes pièces au milieu d’un public bon enfant assommé par la moiteur tropicale. Cette agora éphémère entretient la coupure traditionnelle entre spectateurs et acteurs, ce rapport étant donné là où l’avait laissé Carolyn Carlson un an plus tôt. Pour terminer, au son du fifre et du tambour (ou plus exactement : d’une flûte désenchantée et d’une batterie perchée en haut d’une passerelle), les danseurs forment plusieurs unités chargées d’animer, façon g.o. ou moniteurs de club de loisirs, le temps libre des spectateurs qui acceptent de jouer le jeu en les suivant dans une ronde raisonnée, une randonnée pédestre leur permettant de découvrir en passant les facettes des pièces exposées, et de reprendre de façon chorale gestes, actions et leitmotivs. Bonjour, M. Serra !
Horaire : 19h30
Lieu : sous la verrière du Grand Palais
Durée : 1h
Tarif : 4 €
— Chorégraphie : Daniel Larrieu
— Danseurs : Jérôme Andrieu, Valérie Castan, Agnes Coutard, Olivier Clargé, Jonathan Drillet, Franck Jamin, Anne Laurent , Judith Perron, Jean-Baptiste Veyret-Logerias, Pascale Houbin
— Musique : Steve Argüelles, Tomas Jekker
— Technique : Christophe Poux