Joan Ayrton, Cécile Beau, Faust Cardinali, Anne-Valérie Gasc, Agnès Geoffray, Dominique Ghesquière, Virginie Yassef
Une sédimentation d’images sans image
L’exposition «Une sédimentation d’images sans image» s’appuie sur la notion d’hétérotopie considérée comme une fiction génératrice d’expérience. Le lieu de l’exposition est conçu comme une zone d’étrangeté au cœur de l’espace urbain, redoublant sa destination première, et les sept artistes y proposent des expériences singulières de perception temporelle et spatiale.
Un livre accompagne l’exposition, autre espace où se joue la fiction, ici proprement dite, écrite: une nouvelle de Sally Bonn, (le peuple des bords) fait pendant aux œuvres des artistes. Ce livre se propose de renouveler le discours critique en instituant une mise en regard des œuvres et de la fiction sans surplomb, à même les choses, jouant d’une jonction-disjonction entre texte et œuvres.
Le motif de la ruine et les questionnements divers autour des mutations urbaines dans lesquels s’est engagé Art-Cade cette année, invitent à une dé-territorialisation de l’espace artistique. Il s’agit dans cette exposition de penser le lieu de la galerie des grands bains douches de la Plaine, ce lieu déjà si singulier dans le paysage urbain marseillais, comme un territoire à part entière, le lieu d’une fiction singulière en dehors du temps présent et pourtant s’y inscrivant totalement, en proposant une rupture avec le temps traditionnel.
Les œuvres dialoguent dans une fiction, dans cet emplacement, cet entrecroisement fatal du temps et de l’espace, que le philosophe Michel Foucault nomme des hétérotopies, et qui permet des expériences mixtes, mitoyennes. Ce qui caractérise l’hétérotopie foucaldienne, c’est d’être un lieu autre au sein de la société, autre et pourtant réel, autre et dedans, un ailleurs au dedans en quelque sorte, juxtaposant des emplacements dans un lieu réel. La fiction est écrite mais autonome, elle entre elle-même en dialogue avec les œuvres.
La galerie des grands bains douches devient, le temps de l’exposition, cet emplacement d’une fiction sans lieu réel et sans temporalité déterminée dans un lieu réel, que les artistes investissent par des pratiques diverses, mêlant l’architecture, la photographie, la sculpture, l’empreinte, l’archive, la fiction et le réel.
La fonction de l’hétérotopie est de créer deux types d’espace, un espace d’illusion (qui par effet de miroir dénonce l’espace réel comme illusoire) et un espace de compensation (plus réel que le réel). Les œuvres d’art proposent ici, dans un cadre singulier comme celui des hétérotopies, des expériences qui sont un défi à leur objectivation. Les propositions artistiques se présentent comme «une sédimentation d’images sans image» (Theodor Adorno) dont il s’agit de faire l’expérience.
Le lieu de l’exposition devient un creux, une zone subjective construite de la rencontre de singularités formelles. Cette rencontre se propose comme une forme déviée ou détournée d’utopie, une fiction permettant d’occuper une ou des zones d’étrangeté poétique, territoriale, architecturale, paysagère, entropique.
Les sept artistes présentés invitent à chercher les hérissements de la discontinuité, les ruptures de linéarité dans l’histoire, proposent des espaces autres, s’engagent à «définir un emplacement singulier par l’extériorité de ses voisinages» (Michel Foucault): des murs ou des mots minuscules, des zones accueillantes et d’autres inquiétantes, des sons et des odeurs, des habitations inhabitables et des moments de suspension. L’ensemble s’inscrit dans la fiction hétérotopique d’une image non objectivante juxtaposant des emplacements dans un lieu réel.
Sally Bonn
Commissariat
Sally Bonn
Vernissage
Jeudi 13 novembre 2014 Ã 18h30