Par Manuel Valls
Notre pays traverse une sorte de «dépression culturelle». Après l’élan des années Lang, aucun des gouvernements successifs n’est parvenu à redonner du souffle à notre politique culturelle. Dans le débat en vue de l’élection présidentielle de 2012, et face aux défis majeurs que notre pays doit relever, la culture risque fort de passer au second rang des priorités. Pour ma part, j’ai la conviction qu’il n’y aura pas de sortie durable de la crise économique et sociale sans une politique ambitieuse en matière d’éducation, de culture et de soutien à la création.
Prenant le relais d’un Etat de plus en plus défaillant, les collectivités territoriales tentent d’amortir le choc du désengagement. A leurs têtes, la gauche fait preuve de courage et d’imagination, mais la somme des bonnes pratiques locales ne fait pas une politique nationale. Quels sont les défis qui nous attendent et quelles nouvelles réponses leur apporter?
L’éducation artistique et culturelle pour tous
Parce que j’ai grandi auprès d’un père artiste-peintre et que je partage la vie d’une violoniste, que la littérature et la musique ont forgé mon imaginaire d’enfant et d’adolescent, je sais l’importance de l’art et de la culture dans la construction de l’individu et du citoyen. Je veux rendre la pratique d’un art ou la fréquentation des œuvres réellement accessibles à tous, quels que soient leurs revenus ou leurs origines sociale et culturelle.
Nous devons désormais poser des actes irréversibles. Ce ne sera possible que sur la base d’un pacte entre l’Etat et les collectivités et une mobilisation massive des acteurs de l’éducation et de la culture. Toutes les solutions ne peuvent venir «d’en haut», mais l’Etat a un rôle essentiel à jouer. Je propose un objectif simple: que chaque enfant du primaire puisse pratiquer une activité artistique.
Préserver la diversité de la production et de la diffusion culturelle
Sous l’effet des migrations et grâce aux nouveaux moyens de télécommunications, notre espace culturel s’est enrichi de nouvelles formes d’expression, de nouvelles esthétiques et d’autres manières de dire le monde. Cette diversité est une richesse formidable, à condition de la faire vivre et partager par le plus grand nombre. Si nos institutions culturelles doivent porter les valeurs universelles de la République, elles doivent également s’ouvrir à la diversité qui fait le quotidien de nos villes et de nos quartiers.
La diversité des formes et des expressions doit également être accessible à partir d’internet qui est devenu le principal diffuseur de contenus culturels et créatifs. Contrairement aux médias traditionnels, il offre à chacun de nous la possibilité de partager ses propres productions. De toutes les pratiques culturelles, c’est la seule qui progresse depuis dix ans, nous faisant passer d’une culture de la consommation à une culture de la contribution. C’est pourquoi la loi créant Hadopi est déjà dépassée par les progrès technologiques et les pratiques de la jeunesse. Mieux partager la culture, c’est possible avec internet, à condition de garantir les droits de chacun, l’accès à la diversité des contenus, comme celui d’une juste rémunération pour leurs auteurs.
Garantir l’équilibre économique des filières artistiques et culturelles
Tout cela n’est possible que si chaque filière artistique trouve son équilibre économique et les conditions de son développement. Pas de démocratie culturelle sans pluralisme des contenus diffusés, pas de diffusion sans base financière solide. Prenant acte que l’économie de la culture «pèse» désormais plus de 3% du PIB, nous devons faire évoluer nos modalités de soutien. Peut-on à la fois se revendiquer comme un secteur économique à part entière et continuer à faire appel à la générosité publique ou privée?
La subvention et le mécénat ne peuvent plus être les seules modalités d’intervention en faveur du secteur culturel. J’invite chacun à ne pas céder à la facilité des promesses par des annonces d’augmentation des budgets qui sont peu crédibles dans le contexte actuel. J’appelle à dépasser le clivage traditionnel entre «public» et «privé» à inventer de nouvelles organisations mixant solidarités internes aux filières, argent public et investissements privés. Pour inspirer notre réflexion, nous pouvons nous tourner aussi vers l’économie sociale et solidaire, le microcrédit ou l’actionnariat citoyen. Enfin, je propose d’inventer un statut de l’artiste digne du XXIe siècle, en mettant autour d’une table l’ensemble des organismes sociaux et sociétés civiles qui contribuent aux droits des artistes.
Une organisation beaucoup plus décentralisée pour relever ces défis
L’Etat reste l’acteur le mieux placé pour piloter la stratégie, réguler le secteur ou entretenir le patrimoine. Plus d’argent pour les grandes institutions culturelles, essentiellement parisiennes, est-il à même de combler les inégalités d’accès sur l’ensemble du territoire national? Au contraire, en transférant progressivement ses moyens d’action aux régions, aux intercommunalités et à des structures indépendantes spécialisées dans l’accompagnement des filières artistiques et culturelles (agences, fondations…), il leur permettra d’agir au plus près des réalités du terrain. L’échelon local, essentiel pour la cohésion sociale, reste quant à lui le plus opérationnel pour développer l’éducation artistique et les pratiques en amateur ou pour favoriser l’expression de la diversité culturelle dans l’espace public.
Ainsi réorganisée, l’action de la République retrouverait un peu de cohérence et de lisibilité. Le citoyen-contribuable y verrait plus clair. Le professionnel saurait de nouveau à quoi il sert. L’élu redeviendrait garant de l’intérêt général. Chacun essayant de saisir la complexité d’un monde en perpétuelle mutation.
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