ART | CRITIQUE

Une nuit sans sommeil

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@23 Août 2013

Largement inspirée par le design et l’architecture, la pratique d’Alain Bublex propose une réflexion sur la transformation de l’environnement urbain et, plus particulièrement, sur la notion de chantier. Dans son exposition «Une Nuit sans sommeil», pensée comme un «collage» d’œuvres hétéroclites, il nous propose une mise en espace de tous ses projets inachevés ou laissés en suspens.

L’exposition d’Alain Bublex «Une Nuit sans sommeil» s’inscrit dans le cycle de manifestations organisées pour commémorer les trente ans d’existence des Fracs (Fonds régionaux d’art contemporain). Dans ce cadre, la région Languedoc-Roussillon a choisi le thème commun d’Ulysse.

Pour son exposition au Frac Languedoc-Roussillon, Alain Bublex a centré son attention sur le personnage de Pénélope. Dans l’Odyssée d’Homère, la femme d’Ulysse est contrainte d’attendre pendant vingt ans sur l’île d’Ithaque le retour de son mari-voyageur. Elle pose à ses nombreux prétendants comme condition d’une nouvelle union d’avoir achevé de tisser la toile qui devra servir de linceul à son père. Mais pour les éconduire, Pénélope élabore une ruse: défaire la nuit tout ce qu’elle a tissé le jour, évitant ainsi l’achever son ouvrage.
C’est à cet épisode, que renvoient le titre et le thème de l’exposition «Une nuit sans sommeil», dans laquelle Alain Bublex revient sur tous ses projets jamais réalisés ou laissés en suspens.

Depuis l’entrée, seule la partie droite de la pièce est visible. La partie gauche est dissimulée par une cloison qui donne l’impression que l’on entre dans une zone en construction. Cette sensation est renforcée par le peu de luminosité ambiante et un éclairage sommaire, composé de cinq néons et d’un projecteur de chantier posé à même le sol. Un dispositif de cloisons et d’estrades en bois a été conçu pour diviser l’espace en plusieurs sections. Ce dispositif permet de mettre en scène les œuvres et de créer un parcours. Pour accéder à l’espace principal, il faut passer à l’intérieur d’un volume, une sorte de bungalow ouvert qui fait office de sas.

Sur le toit de ce «bungalow» est posée la maquette de l’aménagement du site de Lucy à Monceau-les-Mines, une proposition imaginée à la fin des années 1990, dans le cadre de la série Projets en chantier.
Alain Bublex a participé à de nombreux concours de réaménagements urbanistiques et architecturaux. Dans le cas de l’ancien site minier de Monceau-les-Mines, le cahier des charges imposait de conserver le rapport du lieu à l’histoire. D’où le projet d’Alain Bublex de construire une petite centrale thermique pour alimenter un appareil à produire de la vapeur d’eau, accompagné d’un magnétophone imitant le bruit de l’ancienne mine. Cette idée, aussi farfelue qu’inutile, n’a bien sûr pas été retenue…

Les maquettes à échelle réduite sont un élément récurrent. Elles rappellent l’univers de l’enfance et des jeux de construction. Même si la maquette constitue déjà la matérialisation d’une architecture, elle reste une étape préalable à la construction d’un projet, qui peut encore subir des modifications ou ne pas aboutir. Sur une estrade, est présenté un projet d’exposition conçu pour un lieu indéfini. Seule l’idée de cette exposition compte, car rien ne garantit sa réalisation.

L’œuvre d’Alain Bublex est largement inspirée par le design et l’architecture. Pour cet ancien dessinateur industriel de chez Renault, le dessin est une «action plus naturelle que l’écriture», son médium de prédilection. Toutefois, il est souvent allié à d’autres techniques telles que la photographie, la modélisation, ou encore la mécanique.

Le long du mur une motocyclette partiellement démontée — Bob Job — était initialement destinée à devenir un prototype de chopper. À côté d’elle, plusieurs images vectorielles en couleurs collées sur le mur figurent les étapes nécessaires à la modification de la bécane (ajout d’une fourche plus longue, d’une selle plus confortable, etc.). Il est ainsi possible d’apprécier l’étendue du travail restant à accomplir pour arriver au résultat souhaité. L’objet demeure, quant à lui, comme figé dans l’attente perpétuelle de sa transformation.

Deux photos encadrées, une vue nocturne de la Tour Eiffel et une autre de la Gare Saint-Roch de Montpellier, sont extraites de la série Plug-in City commencée dans les années 2000. Ces photos sont basées sur la réactivation d’un concept de l’architecte anglais Peter Cook datant des années 1940. Membre du groupe Archigram, Cook avait imaginé une ville à l’architecture entièrement modulable grâce à un système de branchements (en anglais «plug-in» signifie branchement ou connexion) de modules d’habitation qui viendraient agrandir l’espace disponible dans les immeubles existants. Le principe de cette série consiste à photographier un monument ou une construction, le plus souvent en chantier, et à ajouter par le dessin directement sur la photographie des modules colorés qui en modifient l’apparence et la fonction.
Ces lieux souvent peu propices à l’habitation deviennent ainsi de potentiels lieux de vie. On distingue également des hélicoptères de l’armée chargés d’acheminer les matériaux nécessaires à la construction, qui confèrent à la scène une atmosphère cinématographique.
Alain Bublex adapte le concept de «Plug-in City» aux besoins de la ville contemporaine. L’image récente du réaménagement de la Gare Saint-Roch a été commanditée par la société de travaux publics Vinci. Une autre version en format monumental a été installée au cœur de la nouvelle gare, en prolongement de l’exposition du Frac.

L’œuvre Paysage 79. Fantôme Plug Eiffel 1 est la version simplifiée et dessinée d’une œuvre photographique préexistante. Comme le fantôme, elle incarne la présence d’une œuvre qui n’est pas dans l’exposition. Une sorte de trace, de résidu de l’œuvre originale. La dialectique absence/présence est centrale dans l’exposition. Les références à d’autres œuvres que celles présentées sur place sont nombreuses. On retrouve notamment la réplique d’une Aérofiat qui a fait l’objet d’une série d’œuvres antérieures.

«Une Nuit sans sommeil» prend le parti d’étudier l’exposition en tant qu’objet, et de faire dialoguer les différents projets en cours ou inachevés au sein d’un même espace. Elle s’articule autour de la notion de travail, le processus primant ici sur la réalisation finale.

La référence à la période nocturne constitue le moment privilégié de la réflexion, plutôt que celui de l’action. Comme pour Pénélope, la nuit pour Alain Bublex ne conduit pas à l’achèvement d’une action. C’est en revanche le temps de la création. Ainsi, l’image numérique imprimée Paysage 52 (Module entretemps), collée à même le mur présente une vue intérieure d’un bureau d’architecte. L’image est vide de toute présence humaine. Une chaise de bureau est placée à côté de l’image, tel son prolongement dans le réel. On est invité à s’y asseoir afin d’expérimenter physiquement l’exposition, qui n’est pas seulement un lieu de contemplation, mais aussi un lieu de vie.

Même si le but de l’œuvre n’est pas de plonger le visiteur dans une quelconque illusion, l’artiste se plaît à brouiller la limite entre réalité et fiction.

Une vitrine disposée au centre de la salle — Tentatives (vitrine 1998-2007, 16 catalogues) — renferme une série de catalogues dont les couvertures portent toutes les mentions du nom de l’artiste et de la galerie qui le représente. Ces catalogues n’ont jamais été publiés, comme permet de le constater un exemplaire laissé à disposition du public, entièrement composé de pages vierges. Ces simulacres de catalogues peuvent symboliser l’impossibilité d’écrire sur des concepts et des œuvres en train d’être développés ou volontairement interrompus. Ils se limitent donc à un ensemble de «tentatives» de réflexion sur des projets.

«Une Nuit sans sommeil» exprime la difficulté pour l’artiste contemporain de déterminer quelles tentatives se matérialiseront en œuvres, et lesquelles resteront inachevées. Ces dernières pourraient bien s’avérer tout aussi passionnantes…

Å’uvres
– Alain Bublex, Bob Job, 2000-2012. Prototype motocyclette Triumph Bonneville T140 partiellement démontée. Dimensions variables.
− Alain Bublex, Bob Job étude #1 à #4, 2010-2013.Images vectorielles, papier peint. Respectivement 290 x 200 ; 130 x 170 ; 332 x 300 et 475 x 320 cm.
− Alain Bublex, Maquette de Lucy, 2002-2007.Technique mixte. Dimensions variables.
− Alain Bublex, Montpellier Saint-Roch 1, 2013. Épreuve chromogène laminée diasec sur aluminium. 180 x 240 cm.
− Alain Bublex, Paysage 52 (Module entretemps), 2009.Image vectorielle. Dimensions et techniques d’impression variables.
− Alain Bublex, Paysage 79-Fantôme Plug Eiffel 1, 2010. Épreuve chromogène laminée diasec sur aluminium, 180 x 180 cm
− Alain Bublex, Tentatives (vitrine 1998-2007, 16 catalogues), 2007. Technique mixte. 72 x 100 x 170 cm.

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