DANSE

Une lente mastication

PSophie Grappin
@07 Fév 2012

Moins de quinze jours après la présentation de Bestioles au Centre Pompidou, Myriam Gourfink nous dévoile Une lente mastication, son dernier opus, crépusculaire, qui dévoile entre autre deux inédites présences masculines.

A mesure qu’il pénètre dans la salle et s’installe dans les gradins, le spectateur se voit happé par une lumière bleutée, douce pénombre qui opère un premier changement d’appréciation, une progressive plongée vers ce «temps autre» que Myriam Gourfink nous propose d’explorer.
Kasper T. Toeplitz en fond de scène finit par entamer l’espace sonore tandis que l’obscurité croit.
Au centre donc, cette musique qui vous tient aux tripes et ne vous lâche plus, même et surtout quand le silence se fait.

Comme toujours chez la chorégraphe la danse s’élabore dans une extrême lenteur, annihilant un des ressorts classiques de l’écriture chorégraphique: nulle pause, nulle forme arrêtée ne viennent scander le déroulé du mouvement, hormis l’écart accidentel, cette rupture bien humaine qui défait un instant l’incroyable mise en tension des corps.
Un déploiement continu, un geste sans début ni fin semble se dilater jusqu’à amener les corps dans le déplacement. La frise qui se déroule devant nous, formée par l’alignement des danseurs de l’avant-scène jusque dans la profondeur du plateau, trouve dans la répétition fluide de quelques cellules chorégraphiques un moteur naturel à leur progression linéaire.

Il s’agit d’une simple traversée, de cour à jardin, introduite par un premier temps de houle; cette répétition circulaire, en flux et reflux ou «lente mastication», permet une intensification progressive avant le déferlement de la vague: propagation de l’onde musicale, résonnance d’un mouvement interne dans l’espace, à partir duquel lumières et regards viennent composer des lignes. Une construction spatiale qui émane naturellement des corps, prolonge d’infimes mouvements en tracés ornementaux, tandis que les interprètes se frôlent et s’évitent dans une communion parfaite.

Une jambe se déploie infiniment dans l’air, évitant de quelques centimètres une tête, un bras, et ce faisant parvient à ne plus être qu’un simple membre.
Dans cette jambe il y a aussi de la pulpe d’un doigt, une infime contraction périnéale, peut-être même un frémissement de la narine… car toute l’architecture du corps s’y est dissoute, ou plutôt affirmée.
Une grande force émerge, donne à voir une cohérence formelle qui jamais ne s’essouffle tandis que les regards glissent de corps en corps.
Nouveauté de cette création, les deux présences masculines se fondent parfaitement dans cet harmonieux ensemble.

Dégagée de toute spécificité féminine, la danse de Myriam Gourfink s’épanouie dans ce qu’elle possède de plus essentiel: la capacité à faire communier les individus en une même vibration hypnotique, au-delà des limites apparentes qui séparent les corps, en deçà de la chair, quelque part entre la pensée et le regard, le spectateur et l’interprète. Douce transe qui réveille chaque parcelle d’air, se propage de souffle en souffle, circule entre les êtres, en présence, et résonne encore lorsque tout s’achève, que le jour se fait.

AUTRES EVENEMENTS DANSE