Le répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon compte en tout huit pièces de William Forsythe. Né à New York en 1949, directeur artistique du Francfort Ballet en 1984, puis fondateur de sa propre compagnie à Dresde en 2004, il est formé à la danse classique et néoclassique. Depuis, il n’a de cesse d’exploser les codes de l’écriture chorégraphique académique et de les remettre en question à chacune de ses créations. « Je cherche simplement à mener le ballet à de nouvelles définitions de ses limites », explique-t-il.
Sa danse précise, convulsive et désorganisée s’avère parfois presque violente, chaotique et dure. Vitesse, désequilibres, ruptures, improvisation et recours au hasard animent ses œuvres. Les danseurs sont tenus en haleine jusqu’à la dernière minute avant d’entrer en scène, car il revisite toujours ses pièces jusqu’au dernier moment.
Là, avec le Ballet de l’Opéra Lyon, la tension est en berne. Les dynamiques, la vivacité d’esprit requises par l’improvisation s’estompent. Cette absence de “stress” est perceptible sauf dans la dernière pièce.
Se joue une partition parfaitement exécutée certes, mais évidée de sa pulpe. De la pièce inititale, il ne reste qu’une douce copie scolaire aux antipodes de l’idée qu’on se fait du style Forsythe. Car William Forsythe met ses danseurs en tension permanente, les pousse vers leurs limites physiques et psychiques. On sent que le chorégraphe n’est pas tapi dans l’ombre du theâtre…
One Flat Thing, Reproduced (2000) commence d’emblée par un soubresaut. Enfin ! Un soubresaut de vingt tables glissant vers l’avant et s’en allant comme elles sont venues avec le même vacarme, la même célérité, la même convulsion explosive — dans le sens surréaliste d’André Breton où “La beauté sera convulsive ou ne sera pas”.
Une meute hallucinée de tables ! Ces éléments de mobilier sont domptés comme s’il s’agissait d’une extension corporelle pour chaque danseur. Le décor s’avère moins classique, plus plastique que pour Second Detail ou Duo. Il entre en interaction avec la dimension corporelle. Les tables font office de surfaces transitoires, fragiles, de terrains de jeux propices aux déchaînement. Le dessus, le dessous, les angles, les quatre coins de l’objet sont étudiés avec soin et précision dans le contact ou l’esquive. Le son explose, fait retentir ses déflagrations, corrobore avec la gestuelle des films d’action. Les danseurs en survêtements colorés rampent très vite sous les tables dans une urgence paranoïaque. La musique de Thom Willems les catapulte dans un ouragan maîtrisé par l’agilité hallucinante des interprètes. Avec cette pièce, Forsythe a franchi les limites et le Ballet de l’Opéra de Lyon parvient ici à en transmettre toute la force et la substance.
Ce n’est pas le cas de Second Detail, ce ballet en costumes gris sur fond gris, qui inaugure la soirée. Cette pièce pleine d’ironie relève de l’hommage affectueux et acerbe à la danse classique. Sept filles sur pointes aguichent sept garçons. Tandis que s’effondre ce corps de ballet dans des poses alanguies, une danseuse aux pieds nus — la soliste — vêtue de blanc et balafrée de rouge à lèvre intervient précipitemment en formant le contrepoint attendu et sauvage à ce ballet neutre, gris et minutieusement réglé.
Duo met en exergue deux femmes vêtues d’un justaucorps noir transparent qui se copient et décalent leur mouvement. La pénombre verticale met en valeur leurs formes et souligne subtilement les contours de leur gestuelle évoluant au sol en majeure partie, alternant effets de miroirs synchronisés et décalés. Malgré la qualité extrême des danseurs, l’on ressent ce manque de supplément d’âme, d’une tension si caractéristique des Ballets Forsythe. « Mayby, Yes they Can’t ! »
— Second Detail (1991), 14 danseurs
— Duo (1996)
— One Flat Thing, Reproduced (2000), 14 danseurs