PHOTO | CRITIQUE

Une campagne photographique. La boutonnière du Pays de Bray

PAlexandrine Dhainaut
@23 Sep 2010

La Boutonnière du pays de Bray permet à Thibaut Cuisset de poursuivre son expérience spatio-temporelle du paysage, fuyant le pittoresque pour atteindre à l’image juste et épurée. Et pourtant, le trouble s’installe…

Thibaut Cuisset s’est immergé dans la campagne normande — la Boutonnière du pays de Bray — pour en dresser un portrait photographique. Façon de parler, car ici, l’humain n’apparaît jamais directement, mais il hante l’image par ses traces: les larges sillons des champs creusés par le passage des tracteurs, les exploitations agricoles et autres fermes aux toits couleur rouille, les moissonneuses batteuses et les routes que celles-ci empruntent, etc.

L’objectif de Thibaut Cuisset tient une certaine distance avec le motif, comme pour ne pas le corrompre, ne pas le charger d’un sens, d’une métaphore cachée. Le monde rural y est donc souvent montré en plan d’ensemble et sans apprêt. Thibaut Cuisset fuit la belle image à l’instar d’un Bruno Dumont*, évite le pittoresque ou les stéréotypes de la campagne, au profit d’une image claire (on remarque la quasi absence d’ombres et la prédominance d’une lumière diffuse), silencieuse et épurée.

En cela, le travail de Thibaut Cuisset se rapprocherait davantage des paysages chinois à l’apparente fadeur que du paysage subjectif propre au XIXe siècle européen. Chaque cliché semble avoir été sélectionné pour ses qualités proprement rythmiques et plastiques. La Boutonnière offre une géométrie délimitée par les champs et les habitations ainsi qu’une riche palette de verts aux nuances subtiles.

Cette «campagne photographique» est avant tout une expérience spatio-temporelle. Les clichés témoignent, de manière assez discrète, des déplacements du photographe qui varie les points de vue, du sommet d’une vallée jusqu’au creux d’un vallon, ou au ras d’un champ sans relief. A travers les choix de cadrage et de motifs relativement pauvres, il délimite un territoire qui n’est au final pas si reconnaissable, et propose une typologie du lieu personnelle et neutre à la fois.

Thibaut Cuisset, à l’aide de sa chambre photographique, prend juste le pouls d’un paysage au fil des saisons (la série de trois clichés Mesnières-en-Bray montre trois époques différentes d’une même parcelle de terre anodine, avant et après moisson) ou parfois au gré de la météorologie: il aura suffi d’un nuage pour donner naissance au diptyque de Roncherolles-en-Bray, rassemblant deux images identiques à une minute d’intervalle, juste le temps de capter l’infime variation lumineuse du lieu.

En pays de Bray, Thibaut Cuisset aura réussi à saisir un paysage troublant, à la fois contemporain (la commande date de 2006) et archaïque, avec ses affleurements calcaires et son agriculture séculaire; à la fois familier et étrange, comme hors du temps et presque sans repère spatial, un «paysage monotone, monocorde, qui contient en lui tous les paysages, où tous se fondent et se résorbent.» **

* Evoquant un tournage dans le nord de la France, Bruno Dumont déclarait «On est là pour filmer, on n’est pas là pour repeindre».
** François Jullien, Eloge de la fadeur. Ed. Philippe Picquier, p. 32.

— Thibaut Cuisset, Une campagne photographique, La Boutonnière du Pays de Bray. Série «Normandie», 2006. Tirages couleurs RC procédé RA4, marouflés sur aluminium, encadrés sous verre

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