Est-ce le fruit d’une série de coï;ncidences, ou l’effet d’un mouvement en profondeur ? Plusieurs expositions reposent en ce moment à Paris sur les relations entre l’art et le design. Au Centre Pompidou, l’exposition du très emblématique designer Philippe Starck ne montre pas d’objets, seulement leurs images sur des écrans au plasma.
A l’inverse, plusieurs galeries parisiennes présentent des travaux d’artistes centrés sur les objets industriels, obéissant explicitement à la logique utilitaire du design : Jousse Entreprise (UnderDesign), Ghislaine Hussenot (Jorge Pardo), in Situ (Andrea Blum), Emmanuel Perrotin (Takashi Murakami), voire Jean Brolly (Michaël Viala). La précédente exposition d’Air de Paris se composait de câbles électriques parcourant le sol de la galerie et reliés à trois lampes conçues par Philippe Parreno et Jorge Pardo.
Au cours des dernières années, une conjonction s’est déjà opérée entre l’art et la mode. Après avoir eu, au temps des avant-gardes, partie liée avec le concept ou la pauvreté, c’est-à -dire après avoir incarné une alternative à la réification marchande, une partie de l’art d’aujourd’hui assume ses rapports avec le luxe.
Les plus célèbres artistes s’exposent dans de somptueux magazines de mode, assez différents des (souvent) plus modestes revues d’art. L’art apporte à la mode une sorte de supplément symbolique et formel. La mode introduit l’art de façon décomplexée, par la voie du luxe, dans un monde enchanté de la marchandise souveraine, de la positivité obligée, de la glorification de l’objet.
Les conjonctions avec le design répondent à une évolution des besoins de l’industrie. Takashi Murakami (Galerie Emmanuel Perrotin) a ainsi été chargé de réinterpréter le monogramme de la marque Louis Vuitton.
En pareil cas, l’artiste est sollicité pour son inventivité afin de tracer des voies nouvelles, d’explorer de nouveaux réseaux de sens, susceptibles de séduire de nouveaux acheteurs ou de redéfinir l’image d’une marque. Son intervention à la fois ponctuelle, extérieure, et nécessairement très libre, est conjointe à celle, plus durable, souvent intégrée à l’entreprise, des designers qui, eux, sont soumis à un strict cahier des charges économique, technique et social.
Scellés dans la pratique, les rapprochements s’inscrivent dans le cadre plus général de l’abolition des normes modernistes et de la possibilité désormais largement ouverte d’opérer des hybridations sans rivage. Ils sont encore renforcés par les pratiques commerciales quand l’art rompt avec l’œuvre unique au profit du multiple, et que le design produit des objets de série à la carte.
Dans la période présente de fluctuation permanente des frontières entre les pratiques, de redéfinition des lieux d’action et des modes de diffusion artistiques, les artistes rencontrent de nouveaux partenaires : les créateurs de mode, les industriels, les urbanistes, les aménageurs, ou les citoyens ordinaires. Tout simplement la vie d’aujourd’hui. Leurs productions ou leurs travaux — termes contournant significativement celui d’«œuvre» —, ainsi que leur art lui-même, s’en trouvent changés d’autant.
Reste à mesurer ce qui distingue véritablement les productions de l’art de celles des autres pratiques. Et à souhaiter que l’immersion directe dans la réalité sociale n’aboutisse pas à la banalisation de l’art, à sa soumission aux froides et triviales logiques utilitaires.
André Rouillé
_____________________________
Jorge Pardo, Untitled, 2003. Sculpture en bois, 11 lampes, système électrique. Dimension variable (1000 x 160 x 200 cm). Photo : paris-art.com ; Courtesy : Galerie Ghislaine Hussenot.