Rada Boukova
Un sage est sans idée
Commissaire Jonathan Chauveau
«L’idée est déjà éreintée, elle n’est plus bonne à rien (…). C’est comme le papier d’argent, qu’on ne peut jamais rendre lisse une fois qu’il a été froissé.»
Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées, 1931
La grotte de «La gorge du Diable» (Dyavolsko garlo) en Bulgarie se trouve dans les Rhodopes de l’ouest, à 1,8 km au nord du village de Trigrad et à 17 km au sud de Devin. Pleine de formations curieuses, la possibilité d’effleurer en son sein les mystères souterrains du monde attire et enchante un public toujours plus nombreux.
L’entrée de la grotte ressemble en effet à une tête de diable dans la gorge duquel une énorme cascade tombe en rugissant.
Cette disposition étonnante en nourrissant depuis des temps immémoriaux l’imagination toujours fertile des hommes a donné naissance à de nombreuses légendes dont la plus populaire raconte que c’est par là qu’Orphée serait descendue dans le royaume ténébreux de Hadès afin d’y retrouver son Eurydice bien-aimé.
Cette grotte abyssale, dans laquelle se jettent d’une hauteur de plus de 42 mètres les eaux du fleuve de Trigrad, est la plus haute cascade souterraine de la Péninsule balkanique. La salle principale, en raison du rugissement assourdissant et permanent qui s’y produit, a été surnommée «La Salle qui gronde».
A environ 400 mètres de l’entrée, le fleuve disparaît dans un siphon que l’on suppose être long d’au moins 150 km et ceci bien que les volumes d’eau en question donnent l’illusion de faire immédiatement retour à la surface par la bouche d’une autre grotte située à 60 mètres de là . Phénomène curieux s’il en est, les objets jetés dans «La gorge du Diable» ne réapparaissent en effet jamais à la sortie de cette deuxième grotte.
De nombreuses expériences ont pourtant été menées notamment avec des troncs d’arbres mais ceux-ci comme toutes les autres choses jetées dans les eaux bouillonnantes du fleuve ont bel et bien disparus corps et âmes dans le gouffre maudit. L’utilisation de colorants a néanmoins permis de démontrer que plus d’une heure et demie passait avant que l’eau ne prenne la distance courte entre l’entrée et la sortie. Une enquête donc qui n’a au final fait qu’épaissir un peu plus le brouillard de questions entourant le système fluvial invisible de «La gorge du Diable».
Trois reliefs curieux ont été taillés au fil du temps dans la roche de la grotte. Le premier, près de l’entrée pour les visiteurs, représente une tête de diable. Le deuxième, réalisé dans la pierre de «La salle qui gronde», est la figure d’un homme en style antique. Enfin, tout près de la sortie, on peut apercevoir une petite source surmontée d’un autel miniature dédié à la Vierge Marie. Devant celle-ci on remarquera les nombreuses pièces de monnaie que les visiteurs de «La gorge du Diable» jettent traditionnellement à ses pieds tout en faisant un vœu.
Rada Boukova et Jonathan Chauveau
Rada Boukova
Née en 1973 à Sofia (Bulgarie), Rada Boukova est diplômée de l’Ecole Nationale des Beaux-arts de Paris en 2002. Elle a réalisé de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Après «Me and a German girl» en 2011, «Un sage est sans idée» est sa deuxième exposition personnelle à la Galerie Patricia Dorfmann.
Jonathan Chauveau
Né en 1978 à Paris, Jonathan Chauveau est critique d’art et commissaire d’exposition. Il est également associate editor de la revue internationale d’art contemporain et d’architecture Frog.