La plupart des œuvres de Thomas Bayrle reposent sur un même principe: le nœud de Möbius. Pour obtenir un tel nœud, dont la spécificité est de n’avoir ni dedans ni dehors mais d’être tour à tour l’un et l’autre, il suffit d’appliquer une demi-torsion à un ruban de papier, puis de coller ensemble ces deux bords. Les œuvres Film Loop, Bakterium, ou bien encore, Conveyor Belt en sont de bons exemples.
Mais c’est davantage dans le sens qu’elles donnent à ce nœud que ces œuvres sont intéressantes. Loin de n’être que des applications d’un même principe, elles en proposent plutôt de multiples pistes d’interprétations qui sont comme autant de clés pour comprendre les impasses dans lesquelles notre monde moderne ne fait que tourner en boucle.
Dans le cas de l’œuvre Film Loop par exemple, le ruban (qui ressemble à s’y méprendre aux divers voies d’autoroutes que figure l’œuvre intitulée Motorway) n’est autre qu’une bobine de film où chaque image, grâce à la boucle que crée le nœud, peut être lue indifféremment à l’endroit ou à l’envers sans qu’aucun de ces deux sens de lecture de prévale sur l’autre.
Il y a donc dans cette œuvre comme une négation du temps, ou plutôt, comme une parodie de ce que doit être une conscience qui a perdu tout rapport au monde extérieur et qui revit sans cesse un même moment.
Écho coloré de cette obsession, les peintures chromatiques AST 106, 107 et 110 de Stéphane Dafflon donnent, elles aussi, l’effet que les lignes qu’elles enchâssent ne possèdent aucun ordre de lecture spécifique mais se perdent, au contraire, dans une circularité qui par définition ne comporte ni début ni fin.
Mais c’est, à n’en pas douter, dans l’œuvre Gridhunting de Thomas Bayrle que le sens profond de cette exposition réside: superposant, en un même espace fragmenté, des photos et des projections de personnes quasi identiques, et répétant toujours les mêmes gestes (ces gestes étant figés dans le cas des photos et samplés dans le cas des projections) que nous pouvons le mieux comprendre la portée symbolique des nœuds de Möbius.
A l’instar de ces images que nous voyons marcher sans jamais prendre conscience des autres personnes qui déambulent à leurs côtés, les nœuds de Möbius sont eux aussi, comme l’exprime si clairement Jacques Lacan (L’Angoisse) des surfaces à une seule face qui n’ont pas d’image spéculaire.
Autrement dit, quand bien même notre monde parviendrait à faire cohabiter un milliard de personnes dans un espace infiniment réduit, les trajets circulaires ou préprogrammés qu’il leur impose n’ont pour seul effet réel que de les empêcher de se rencontrer — et par là -même, de connaître à travers la rencontre de l’autre, qui ils sont. Et peut-être est-ce là aussi ce qu’a voulu exprimer Stéphane Dafflon dans son œuvre AST 108 qui nous montre des lignes verticales qui s’amenuisent à mesure qu’elles s’apprêtent à se rencontrer.
Thomas Bayrle
Un sacco di autostrada…/ motorwaybags… / voiture…
— Bakterium I, 2005. Cardboard. 15 x 16 x 43 cm
— Conveyor Belt, 2008. Wood, acrylic, house dust. 37 x 37 x 47 cm
— Film Loop, 2008. Film strip (16 mm) sur Plexiglas. 54 x 80 x 20 cm
— Gridhunting, 2008. Photo print, projection. 200 x 100 cm
— Gummibaum, 1993/94.16 mm film, noir et blanc sans son. 5 min 30 sec
— Motorway, 2003/05. Cardboard, pencil, plastic cars on wooden grid. 120 x 203 x 7 cm
Stéphane Dafflon
Up/Down
— AST101, 2008. Acrylique sur toile. 165 x 165 cm
— AST102, 2008. Acrylique sur toile. 165 x 165 cm
— AST104, 2008. Acrylique sur toile. 165 x 165 cm
— AST107, 2008. Acrylique sur toile. 60 x 60 cm
— AST108, 2008. Acrylique sur toile. 60 x 60 cm
— AST110, 2008. Acrylique sur toile. 60 x 60 cm
— AST106, 2008. Acrylique sur toile. 60 x 60 cm