Des macarons produits localement seraient alignés sur le sol. Le sucre de ces friandises colorées alimenterait en énergie calorifique le corps de trois danseuses. Avalées goulûment, ces petites choses leur prodigueraient la force de pédaler à tour de rôle sur un vélo. La pièce chorégraphique dans laquelle elles évolueraient serait ainsi fournie en courant.
De prime abord, de telles idées pourraient paraître datées et/ou saugrenues. C’est sans compter sur l’ingéniosité scénique et chorégraphique de Prue Lang, danseuse et chorégraphe d’origine australienne en résidence à Mains d’Œuvres.
Dans cette pièce, l’énergie cinétique de trois interprètes féminines, dont la chorégraphe, est optimisée. Trônant en fond de scène, un vélo semble faire office de quatrième «interprète». Les trois danseuses l’enfourchent l’une après l’autre, pédalent encore et encore. Le courant produit éclaire le plateau. Des dispositifs techniques ingénieux sont par ailleurs intégrés aux costumes. L’énergie produite par les mouvements effectués alimente des batteries utilisables plus tard. Diffusant diverses chansons des années 80, le système sonore fonctionne d’ailleurs grâce à un précédent rechargement. Fonctionnant au courant électrique classique, la régie technique de Mains d’Œuvres (Lumières…) devient inutile et se retrouve mise au chômage… technique!
Qu’en est-il de la danse déployée? Elle se fait parfois saccadée, comme si elle était abritée d’une tension débordante, voire difficilement maîtrisable, mais néanmoins recyclable. À certains moments, la gestuelle aurait même tendance à devenir mécanisée. Comme un subtil écho à la mécanique en branle de la petite reine? Serait-ce l’utilisation des costumes-accessoires qui génère les mouvements? Ou à l’inverse, seraient-ce les mouvements prédéfinis qui auraient entraîné l’élaboration de ces peaux parées de technologie embarquée? Une confusion délicieuse règne.
Une frénésie chorégraphique peut évoquer une lutte féminine pour les macarons, en tant qu’ustensiles énergétiques essentiels pour pouvoir exister sur scène. Une main est brandie vers le haut – le ciel? — comme si l’interprète concernée voulait signifier son désir de vivre au-delà des difficultés scéniques du moment. Plus loin dans le déroulé de la pièce, les trois femmes cyborg peuvent au contraire donner l’apparence de chercher à s’apprivoiser.
D’aucuns peuvent y trouver la quête d’un «vivre ensemble» étroitement liée à la notion de développement soutenable.
Globalement, la pièce ne pâtit pas tant que cela des diverses contraintes découlant de l’option écologiste prise par la chorégraphe. Le pari d’un projet «visant à repenser les relations entre le corps et l’écologie» est presque relevé, malgré une impression de faiblesse à certains moments. C’est le cas, par exemple, pour ces arrêts répétés, rendus obligatoires pour laisser le temps à une danseuse de remplacer l’autre sur le vélo.Cette accumulation de noirs complets, aussi furtifs soient-ils, surcharge la pièce et lui enlève la fluidité qui semble lui faire défaut.
Présent dans les rangs du public, Daniel Favier, directeur de La Briqueterie/Centre de développement chorégraphique (CDC) du Val-de-Marne, relève le «côté très aventurier d’une telle pièce autonome d’un point de vue énergétique». À brûle-pourpoint, il estime que le projet de Prue Lang est «une recherche novatrice, dans la mesure où le concept environnemental est poussé jusqu’au bout: depuis l’élaboration en amont de la pièce jusqu’à sa création sur scène».
Dernier détail qui a son importance: la pièce s’intitule «Un réseau translucide». «Translucide» comme l’eau pure non polluée. «Translucide» pour signifier au spectateur-citoyen que rien ne lui est caché. «Réseau translucide» pour lui suggérer, peut-être, qu’il pourrait lui-même chercher à réduire son empreinte énergétique en s’incluant dans un réseau vertueux. De l’art dansé à l’écologie appliquée, il n’y a qu’un pas que Prue Lang s’est fait un plaisir de franchir. Avec une énergie renouvelable et renouvelée!
— Conception: Prue Lang
— Chorégraphie: Prue Lang en collaboration avec Vanessa Le Mat et Nina Vallon
— Interprétation: Prue Lang, Vanessa Le Mat et Nina Vallon
— Conception du système lumière: Charles Goyard
— Conception des costumes: Amanda Parkes
— Construction des costumes: Aaron Crosby
Chorégraphe
— Prue Lang
D’origine australienne, elle est installée en Europe depuis 1999 où elle poursuit ses recherches chorégraphiques. Parmi les éléments saillants de son parcours, elle a notamment collaboré avec le chorégraphe William Forsythe au Ballet de Francfort.