La Galerie Anatome nous invite à deux expositions en une. Et c’est sur la mezzanine de son architecture aux différentes strates qu’on comprend sa dualité. Les interventions de Paprika et Seripop habillent un plan de métro montréalais. Une façon de montrer la coexistence d’un travail rigoureux de communication avec la production effrénée d’affichistes aux couleurs criardes… en un territoire partagé: celui du réseau, tissé d’identités locales et de toiles globales.
Paprika se définit d’ailleurs par une conscience planétaire de la communication. «Impossible de voir petit lorsqu’on bâtit des images»: voilà comment a grandi l’ambition de ce duo composé depuis 1991 de Louis Gagnon et Joanne Lefebvre, aujourd’hui très régulièrement primé pour ses talents de sobriété, de délicatesse et d’efficacité. La petite équipe voit grand pour ses clients. Elle produit les outils visuels d’entreprises à la mesure anticipée de leur croissance. Aussi les créations de Paprika sont-elles élémentaires, presque modulaires, à la manière d’une syntaxe à construire comme un jeu sur le marché.
Au premier étage, même emballement de la part de Seripop, ce couple féru de noise rock aux affiches débordant d’une énergie qui pousse le visuel à se dépasser ! C’est en all-over que nous sont présentées les productions de Chloé Lum et Yannick Desranleau, qui ont commencé leur activité en 2002 pour leur propre groupe: une accumulation jouissive de sérigraphies aux figures riantes ou hurlantes. Leurs couleurs vives et contrastées sont souvent concurrencées par d’autres, fluorescentes, et à peine contrôlées par un cerne noir. Le mode de production de Seripop a lui aussi quelque chose de systématique. A partir d’une technique et d’un support, ce duo plus jeune et atypique multiplie les variations. Et s’il ne reçoit pas encore de prix, sa production prend déjà d’autres dimensions, de l’exposition à la vente de tirages limités.
Autodidactes, les deux collectifs assurent la promotion urgente d’un genre qui les passionne: on parle d’un «cri visuel», quand Paprika travaille à l’industrie programmatique d’identités en développant un langage typographique. Mais les lettrages font image, comme lorsqu’un «h» écrit en minuscule devient tout simplement une chaise. Et inversement, l’hypersensualité des affiches de Seripop nous interpelle: de bouches désirantes sortent des bulles qui annoncent un concert. Ces excroissances de langage parmi d’autres, sexuelles ou exorbitées, participent d’un « bruit» plus général, né d’une vitesse urbaine qu’on lit aussi chez Paprika. Sa propre identité visuelle évoque une pulsation électronique, un flux continu de signes auquel répondent les circonvolutions psychédéliques des images de Seripop sur fond superposé d’aplats.
L’expérimentation plastique et la matérialité ne sont donc pas réservées à Seripop comme on pourrait le croire. Pour les affiches de la galerie-boutique de design « Commissaires » conçues par Paprika, les lettres de Madame Chose sont faites d’épingles à cheveux tordues, et celles de Comme une forêt de fil sont un même fil entremêlé de signes. Enfin, pour des scénographies comme celle de l’entreprise d’ameublement Domison, le vertige est de mise: à travers un display domestique court un tunnel organique et futuriste, un tourbillon de paperolles marquées d’un logo alors à peine lisible. Dans l’exposition trône un exemple de totem ainsi aggloméré.
Il faut accorder à Seripop la singularité de ses visuels complexes à décrypter, mais il arrive aussi à Paprika de taquiner les limites de la lisibilité: la lecture du titre Les Frontières floues est empêchée par un jeu sur les conventions d’espaces entre ses mots, et le parcours du Musée des beaux-arts entravé par une signalétique où la typographie des sons des travaux prennent la place de leur saturation… Bang bang, cling cling, boom, en écho à l’environnement des créations de Seripop, placardées en série sur les palissades de la ville.
Seripop
— Affiche pour le festival Montréal Electronique Groove, 6e édition, 2004. Papier.
— Vancouver Territory, affiche de l’exposition collective dont le duo Seripop a fait partie, galerie Artspeak, Vancouver, juin 2006.
— Jaquette de disque vynil sérigraphiée, The Looks, mstrkrft, Last Gang Records, 2007. Prix Juno Awards for CD/DVD Artwork Design 2007.
Paprika
— Babiche, affiche de l’exposition à la Galerie Commissaires, 2008. Cette exposition présentait des meubles mêlant des structures géométriques à un tressage en babiche, le cuir utilisé par les Premières Nations de l’est du Canada lors de la confection de raquettes.
— Photographie de l’exposition, espace Paprika, 2010. Galerie Anatome, Paris.
— Galerie du chocolat, emballage de chocolat issu du commerce équitable, présenté en 2010 dans la galerie Anatome.