, à défendre les traditions et ses privilèges, la droite réactionnaire est dynamique, voire combative et entreprenante.
La surexcitation permanente de Nicolas Sarkozy, sa compulsion conquérante à occuper tous les terrains à la fois, sont des expressions physiques de son projet réactionnaire.
«Je veux agir […]. Je veux résoudre la crise morale française. Et tout ce que j’ai dit, je le ferai», affirmait Nicolas Sarkozy dans sa conclusion au débat télévisé du 2 mai. Cela ne fait guère de doute. A la différence de la droite conservatrice de Chirac & Co, qu’il juge trop réservée dans la mise en œuvre de ses valeurs, Nicolas Sarkozy appliquera son programme sans vergogne. C’est cette évidence qui fait peur, parce que l’homme a montré où il se situe, et qu’il est capable du pire.
Avec lui, l’art et la pensée sont en danger. Cela dit avec autant de gravité que de mesure. Il serait sans doute excessif de diaboliser Nicolas Sarkozy à l’excès en le dépeignant sous les seuls traits d’un horrible censeur. Bien que l’on ait froid dans le dos en songeant aux menaces de limogeage qu’il professe à tort et à travers (récemment à l’encontre d’une employée de France 3 à cause d’un retard de maquillage), ou qu’il obtient (c’est indubitablement à sa demande que son ami Arnaud Lagardère a licencié le rédacteur en chef de Paris Match pour avoir osé publier une photographie de Madame Sarkozy en aimable et masculine compagnie…).
De tels agissements ont tout lieu de faire craindre que, s’il était élu, sa compulsion répressive pourrait s’exercer, pour un oui ou pour un non, contre des œuvres ou des artistes. En particulier des œuvres et artistes contemporains, parce que le Monsieur fait preuve, en matière de culture et d’art, d’un très solide manichéisme passéiste.
Pour Nicolas Sarkozy, la culture est en effet un instrument d’ancrage idéologique dans les valeurs traditionnelles du passé et dans l’univers élitiste de «l’excellence». Ce qui se traduit par une nette priorité accordée au patrimoine, par la volonté que soit «donné à tous les enfants accès aux grandes œuvres de l’esprit», et par cette proclamation aussi creuse que péremptoire: «Pour moi, toutes les œuvres ne se valent pas» (Télérama, 24 fév. 2007).
De telles proclamations, que condamne la plus élémentaire réflexion sur la culture, sont politiquement très éloquentes. Nicolas Sarkozy «veut faire de l’enseignement artistique la clé de la démocratisation de la culture», tout en limitant celle-ci à ces fameuses «grandes œuvres de l’esprit». Cette conception de la culture des «grandes œuvres», en écho à la très archaï;que histoire des «grands hommes», est une conception réactionnaire — au sens strict de polarisée vers le passé.
La semaine dernière (voir l’éditorial du 26 avril 2007), l’équipe du candidat a diffusé sur son site internet sarkozy.fr une très instructive vidéo intitulée Etre artiste aujourd’hui dans laquelle trois membres de la Maison des artistes, dont son président Rémy Aron, confessent les espoirs qu’ils mettent en Nicolas Sarkozy pour améliorer la situation des artistes.
Mais voilà , et on ne s’en étonnera pas, cette vidéo — traversée par la tristesse d’un pitoyable outil de propagande plutôt que par la joie d’un engagement spontané —, est marquée du sceau de l’imposture. Rémy Aron se présente comme le président de la Maison des artistes, alors qu’il n’en préside que l’association culturelle (qui n’a pas la charge de la sécurité sociale obligatoire des artistes), mais surtout, il entraîne indûment les artistes dans ses choix politiques personnels.
Au-delà de cette imposture, Remy Aron et ses deux acolytes dévident, en une longue litanie, la vulgate passéiste et réactionnaire en matière d’art: contre la politique culturelle conduite depuis vingt-cinq ans en «ignorant 99%» des artistes; contre le «conformisme institutionnel» des Frac et des Drac; contre la supposée domination de l’art conceptuel; contre, évidemment, l’héritage de Jack Lang.
Tout cela au nom d’une autre supercherie: l’assimilation du professionnalisme en art aux pratiques du compagnonnage des temps bénis du Moyen Âge et de la Renaissance. Aussi, à l’aube du XXIe siècle, la campagne de Nicolas Sarkozy en matière d’art peut-elle se résumer à cela: «Aujourd’hui, il faut que l’on recommence»… le Moyen Âge.
Cet activisme antimoderne contre l’art du XXe siècle, au nom d’un grand bond de plus de cinq siècles en arrière dans l’histoire de l’art, n’est pas le fruit d’une pensée chaotique et divagante, mais l’expression même des orientations de Nicolas Sarkozy qui a fait de la croisade contre l’héritage de Mai 68 l’un des axes majeurs de sa campagne, au point de déclarer encore ce 3 mai dans un meeting à Montpellier: «Il nous reste deux jours pour dire adieu à l’héritage de Mai 68, deux jours pour renoncer au renoncement»…
Si Nicolas Sarkozy était élu, nous serions à deux jours d’une catastrophe pour la pensée, avec un président de la République aveuglé par ses fantasmagories sur la réalité de l’histoire et de la société.
Nicolas Sarkozy pense sous la forme simpliste d’oppositions binaires, de paires d’éléments qui s’excluent toujours l’un l’autre, au point d’inventer et de créer de toute pièce des conflits imaginaires. De diviser, de dresser les uns contre les autres. C’est une pensée en noir et blanc du monde dans lequel les places sont irrémédiablement fixées et séparées (par nature). Les victimes et les délinquants, les gendarmes et les voleurs, les travailleurs et les fraudeurs-délinquants-casseurs, ceux qui se lèvent tôt et ceux qui se lèvent tard, l’art fidèle à la tradition du compagnonnage contre l’art moderne et contemporain, etc.
Autrement dit, les valeurs positives incarnées par la droite «décomplexée» contre celles, issues de Mai 68, qui désignent «la faillite morale de la gauche».
Est-ce avec un si fruste appareillage conceptuel que la France pourrait conjurer le déclin dans lequel elle s’enfonce face à un monde sans cesse plus complexe et changeant. Assurément pas. Le monde nouveau exige des pensées et des postures nouvelles, ouvertes vers l’avenir, à rebours des simplismes réactionnaires.
André Rouillé.
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Etienne Bossut, Pas ce soir, 2007. Moulage en polyester. 410 x 170 x 140 cm. Courtesy galerie Chez Valentin, Paris.
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Éditorial. La Maison des artistes roule pour Sarkozy