Pierre et Gilles sont les portraitistes d’une génération d’artistes, ils radioscopient depuis trente ans la faune éphémère et éternelle du showbiz. Plus conteurs que sociologues ils multiplient les séances de pose et accumulent les «photos-peintures».
August Sander racontait l’Allemagne en photographiant les travailleurs, Robert Doisneau mettait en scène le petit peuple de Paris, Nan Goldin flirtait avec les marginaux, Pierre et Gilles, eux, frayent du côté de la chanson populaire mais pas seulement, aiment-ils à rectifier.
Néo-pictorialistes, ils photographient et peignent à la fois. Tandis que l’un cadre, l’autre retouche. Le modèle est capturé puis maquillé. Ils parviennent ainsi à concilier photographie et peinture, commande commerciale et œuvre d’art, pochette de disque et pièce unique.
En fabricant eux-mêmes leurs décors ils dressent un imaginaire au service d’une histoire, d’une saynète. En travaillant avec leurs idoles, ils dressent un diaporama des artistes de variété. Le jeu des sept familles recomposées — celles de la chanson, du cinéma, de la mode — se transforme en jeu de rôle. La vedette se grime pour devenir une créature de légende. Elle joue à être un personnage. La construction des cadres idylliques qui habillent chaque cliché permet d’orienter chacun de leurs scénarios. De décorateurs de théâtre ils se transforment en accoucheurs de rêves.
«Un monde parfait», leur dernière exposition pourrait le laisser croire. Comme à chaque fois, chacun y apparaît à son avantage. Tout participe à rendre gracieux et merveilleux ce qui ne l’est pas forcément. Mais pour une fois le monde de la variété s’ouvre sur les réalités du monde actuel. Les problèmes de l’Afrique, la guerre en Irak , la France black blanc beur, le conflit israélo-palestinien sont autant d’incursions que l’on voyait peu précédemment.
Malgré le tournant des travaux présentés, malgré la prise de conscience du monde qui nous entoure, le résultat reste lisse. «Un monde parfait» pourrait être siglé par Benetton : «United Colors». La fraternité serait la solution qui permettrait tous les rapprochements, tous les apaisements, toutes les réconciliations.
Avec la bonne volonté, comme dans David et Jonathan, arabes et juifs, nus comme Adam et Eve, n’auraient qu’à s’enlacer pour oublier leurs antagonismes. Excès de naïveté ? Peut-être, mais les deux compères ont toujours avancé de la sorte et toujours mélangé le grave et le futile.
Leur discours, qu’il soit sérieux ou superficiel, se cache toujours derrière un fard de vernis. Même si les bons sentiments coulent aussi abondamment que le maquillage et la peinture, il serait sans doute injuste de douter de leur sincérité.
Les ravages médiatiques d’aujourd’hui sont traités comme des ca rtes postales, mais ne sont pas à prendre à la légère. L’œuvre de Pierre et Gilles n’est pas politique, mais a depuis le début assumé une posture courageuse en préférant la différence au consensus.
Ils obéissent à un seul mot d’ordre, celui du plaisir. Par égard pour le spectateur, par politesse pour lui, ils font tout pour embellir et idéaliser leurs modèles. Généreux et désintéressés dans leur démarche ils ne voient pas les stéréotypes qu’ils mettent en place et la dictature des corps qu’ils imposent.
Les duettistes répondent qu’ils sont guidés par leurs rencontres, loin de rechercher des canons de beauté définis à l’avance ils se laissent porter par le désir de travailler avec des nouveaux modèles. Ils ont peut-être raison ?
C’est vrai que la majorité de leurs travaux met en scène des inconnus et non des vedettes. C’est vrai également que leurs modèles sont androgynes, viriles, athlétiques, ronds, parfois normaux.
C’est peut-être nous qui ne voyons que l’archétype dans leur production.
Une chose est sûre néanmoins, c’est que derrière le vernis se cache une profondeur qui émaille le glacis de leur style reconnaissable entre tous.
Lire également l’interview de Pierre et Gilles en cliquant sur le lien ci-dessous.
Pierre et Gilles
— Eaux Profondes, 2005. Photographie peinte. 119,3 x 92 cm.
— Iraq War 2005. Photographie peinte. 94 x 120 cm.
— L’Afrique brise ses chaînes, 2006. Photographie peinte. 128,5 x 101,8 cm.
— Spartacus, 2006. Photographie peinte. 132,3 x 102,5 cm.
— Tombe la neige, 2004. Photographie peinte. 122 x 89 cm.
critique
Pierre et Gilles