Lynne Cohen
Un hommage
La chose est entendue, une manière de voir le travail de Lynne Cohen serait de le considérer comme une description, un inventaire, une typologie de ces lieux fonctionnels, utilitaires et rationnels que sont les espaces de travail, les locaux techniques, les lieux de formation ou d’enseignement dans différentes institutions, écoles, bureaux, organismes… mais aussi les espaces privatifs habités et modélisés de façon kitch par leurs occupants.
Une autre manière serait d’analyser ce qui se joue dans ces enregistrements «readymade» comme l’artiste aimait à le rappeler quelquefois. Ces lieux ont la particularité et la spécificité d’être ramenés à leur simple expression ou plutôt à une expression simple: un espace délimité, l’angle d’une pièce souvent, deux ou trois plans tout au plus, le sol, le plafond, peu d’objets, ceux qui sont nécessaires à la fonctionnalité du lieu, des textures et des matériaux singuliers, des lumières presque toujours artificielles.
Le protocole est régulièrement le même: «rentrer» dans l’espace réel et simultanément dans l’espace photographique, en s’approchant plus ou moins près des choses, en écartant les éléments parasites par le cadrage, en révélant les objets présents dans le lieu dans un système élaboré mais simple de composition, de lumière, de valeurs, de couleurs.
Lynne Cohen utilise la photographie avec cette conscience que sa relation au réel est révélée dans la «présence du lieu»: c’est là que l’image se joue. Mais l’artiste ne fait pas que rencontrer ces lieux. Son dispositif technique, la chambre photographique, insiste particulièrement sur l’élaboration d’un espace photographique comme une projection-miroir du réel. Ces lieux dans leur simplicité formelle sont comme une métaphore de la constitution de la chambre optique. L’espace devient une image maîtrisée comme le serait une installation ou une sculpture.
Sa formation de sculpteur n’est sûrement pas étrangère à cette approche, tout comme les multiples références possibles dans ses images aux artistes qui comptaient pour elle (Marcel Duchamp, Man Ray, Richard Artschwager, les artistes minimalistes et conceptuels…) mais aussi ceux de sa génération: Lewis Baltz, Victor Burgin, Marta Rosler…
L’incongruité des situations, des dispositifs et des objets révèle une étrangeté, un décalage qui interroge constamment et toujours avec humour des questions de simulation, de répétition, de contrôle, de leurre, de dissimulation, d’absence. Les lieux sont vides, les personnages absents mais les objets présents se transforment en autant de figures spécifiques tout comme les meubles, les machines, les mannequins, les dessins, les schémas…. qui sont souvent les signes de la fonctionnalité des espaces.
La répétition de ces environnements inlassablement clos contraint l’observateur dans un cadre donné. Mais ces espaces ne nous renvoient pas à leurs seules représentations. Les multiples plans, fenêtres, écrans, objets, décors révèlent un espace ouvert grâce à une construction spatiale précise et élaborée ainsi qu’à une dynamique de composition subtile. Les objets deviennent à leur tour des figures, et l’espace tout entier vidé de ses usagers finit par s’imprégner d’une présence sourde et énigmatique.