ART | EXPO

Un destin de photographe

02 Juin - 27 Sep 2015
Vernissage le 02 Juin 2015

Ayant vécu de 1897 à 1985, Germaine Krull a marqué les pratiques modernes de la photographie. Cette exposition donne à voir le déploiement de sa vision singulière autour de 1930. Elle se caractérise par son appartenance à l’avant-garde, son rôle novateur dans le reportage moderne, son goût pour la conception de livres photographiques et sa curiosité pour le Paris populaire et ses marges.

Germaine Krull
Un destin de photographe

L’exposition du Jeu de Paume revisite l’œuvre de Germaine Krull (1897-1985) sur de nouvelles bases, à partir de collections récemment disponibles, afin de rendre compte de l’équilibre entre une vision artistique moderniste et une fonction médiatique, illustrative et documentaire novatrice. Selon ses propres termes, qui ouvrent paradoxalement son livre Etudes de nu (1930): «Le vrai photographe, c’est le témoin de tous les jours, c’est le reporter.»

Si Germaine Krull est l’une des femmes photographes les plus célèbres, son œuvre reste peu étudiée au regard de celle de ses contemporains Man Ray, Laszlo Moholy-Nagy ou André Kertész. Peu d’expositions lui ont été consacrées: en 1967, une première évocation au musée du Cinéma à Paris; en 1977, au Rheinisches Landesmuseum Bonn et en 1988, au musée Réattu à Arles, ainsi que la rétrospective de 1999, montée à partir de ses archives déposées au Folkwang Museum d’Essen.

L’exposition du Jeu de Paume s’attache principalement à la période parisienne 1926-1935, et plus précisément encore aux années d’activité intense de 1928 à 1933, en mettant en relation plus de 130 tirages d’époque avec les publications photographiques, que ce soit dans les magazines ou les livres où Germaine Krull joue un rôle unique et de premier plan.

Cette présentation permet d’apprécier la continuité et les constantes de son travail, tout en mettant en valeur ses innovations esthétiques. Beaucoup d’images singulières et représentatives de son foisonnement créatif sont ainsi à découvrir, dans leur contexte originel.

Née en Pologne, de parents allemands, Germaine Krull a une enfance chaotique au gré des déplacements et des impérities de son père ingénieur, vivant brièvement à Paris en 1906. Après des études dans une école de photographie à Munich, Germaine Krull se trouve mêlée en 1919 aux aléas politiques de l’Allemagne et participe activement aux mouvements bolcheviques, jusqu’à se retrouver en mauvaise posture à Moscou.

Brièvement photographe de nus féminins, où elle se distingue par sa liberté de ton et de sujet, elle découvre aux Pays-Bas, en 1925, les architectures et engins mécaniques des ports, qui la conduisent, suite à son installation à Paris en 1926, à éditer le portfolio Métal qui lui apporte la renommée et l’intègre immédiatement aux mouvements d’avant-garde de la Nouvelle Vision photographique. C’est ce qui lui permet d’être retenue alors pour participer en 1928 au lancement du magazine photographique VU, où s’élabore, avec André Kertész et Eli Lotar, une forme de «reportage» qui lui convient particulièrement, car elle y trouve une liberté d’expression, de prise de vue sans tabous et de proximité avec le sujet, grâce à son appareil «petit format» 6 x 9 cm, l’Icarette.

Cette exposition donne à voir le déploiement extraordinaire d’une vision singulière autour de 1930, difficile à caractériser car elle s’adapte à tous les sujets avec charisme et empathie, tout en maintenant une exigence d’innovation esthétique.

Il est essentiel également de montrer que Germaine Krull travaille constamment dans le but de publier ses photographies: outre le magazine (moderniste) VU auquel elle est attachée de 1928 à 1933, elle participe aussi à de nombreuses autres publications, comme les magazines Jazz, Variétés, Art et Médecine, L’Art vivant, etc. Elle publie surtout plusieurs livres ou portfolios dont elle est l’unique auteur, particularité qui la distingue de tous les photographes de sa génération: Métal (1928), 100 x Paris (1929), Etudes de nu (1930), Le Valois (1930), La Route Paris-Biarritz (1931), Marseille (1935), ainsi que le premier photo-roman avec Georges Simenon, La Folle d’Itteville (1931). Ces publications regroupent près de cinq cents photos. Ses photographies illustrent d’autres livres collectifs importants, notamment sur Paris: Paris, 1928; Visages de Paris, 1930; Paris under 4 Arstider, 1930; La Route Paris-Méditerranée, 1931.

Ses images sont souvent déconcertantes, atypiques, et dénuées de toute standardisation. L’engagement photographique de cette femme politiquement ancrée à gauche, énergique, adepte des voyages, est à l’opposé d’une revendication esthétique, artistique ou interprétative, comme celles du Bauhaus ou du surréalisme. Engagée dans la France libre en 1941, elle y est aussi très active, participe à la Bataille d’Alsace (elle en fait un livre) et part ensuite pour l’Asie, avant de devenir directrice de l’Hôtel Oriental à Bangkok qui devient un établissement renommé. Puis, convertie au bouddhisme, elle se met au service des Tibétains exilés en Inde, près de Dehra-Dun.

Mais, pendant toutes ces années, elle a produit des milliers de photographies de sites et de monuments bouddhiques, notamment dans la perspective de l’illustration d’un ouvrage de son ami André Malraux. Jusqu’à la fin de sa vie, elle publie des livres d’une conception originale: Ballets de Monte-Carlo (1937); Uma Cidade Antiga do Brasil; Ouro Preto (1943); Chieng Mai (c. 1960); Tibetans in India (1968).

Les reportages de Germaine Krull s’attachent d’abord à certains caractères de la vie parisienne, celle des bas-fonds et des petites gens, des quartiers populaires ou de la «Zone»; les clochards qui font son succès dans VU, les halles et les marchés, les fêtes foraines, vantés par Francis Carco et Pierre Mac Orlan (son plus ardent soutien). L’exposition explore également certaines constances distinctives de ses goûts et de ses attachements: l’engouement pour l’automobile et pour le voyage par la route, l’attention aux comportements féminins, de l’écrivaine à l’ouvrière, la fascination pour les mains, et l’esprit libre et fantasque auquel elle cède à toute occasion, sans pour autant appartenir à quelque chapelle.

Vernissage
Mardi 2 juin 2015

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