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Un coup de don

Pièce pour sept danseurs, Un coup de don participe à l’écriture collective de la danse Butô. Il est question ici des origines du Butô, de les questionner en produisant un entrechoc temporel. En confrontant les échos du cataclysme militaire d’Hiroshima et Nagasaki aux récentes crises nucléaires entraînées par le Tsunami, la danse, fidèle au processus d’écriture propre à leur Butô, cherche à saisir les ravages intimes.

Ko Murobushi a expliqué à plusieurs reprises à quel point était marquante pour lui la violence du film Hiroshima mon amour d’Alain Resnais et Marguerite Duras, de sa radicalité dans son histoire de vie et de création. Sa danse doit plus à cette expérience esthétique qu’aux images de villes dévastées. A propos de sa nouvelle création, Un coup de don, il insiste sur l’étrangeté à mourir en contemplant la beauté du bombardement éclatant d’un B-29, ou celle de la vague sidérante du Tsunami. Il faut encore convoquer le néant, le temps infini, les morts innombrables. «Parler de ce qui au moment même où je pense, érode ma pensée à sa source, la désintègre.»

Figure tutélaire du mouvement Butô, Carlotta Ikeda s’est entouré de six danseurs dans l’espoir de dire l’indicible. Tenter coûte que coûte d’incarner ce qui ne peut entrer dans les mots, à partir de l’expérience emblématique d’un employé de banque dont l’ombre produite par les radiations atomiques s’inscrit dans la pierre d’un escalier.
Entourés de ténèbres ou parcourus de flashs d’une lumière trop blanche, les corps sont d’abord alignés en fond de plateau et secoués de tremblements sur une bande-son débordante de souffles. Leurs visages s’assombrissent et nous les retrouvons après un noir complet, allongés, en équilibre sur le flanc, traversés chacun de ses propres répliques de l’immensité de tels événements.

La composition dans l’espace est remarquable. L’équilibre parfait capable de souligner sans cesse l’en-commun d’une expérience strictement individuelle et imaginaire. Les peaux blanchies qui neutralisent les corps, les transforment en scène mouvante pour l’éternelle représentation de la vie et de la mort. Les mots de Tatsumi Hijikata résonnent: «La danse est un cadavre s’efforçant d’être debout au risque de sa vie — il faut vivre avec les morts, les inviter tout près de nos corps». Saisir autant que faire se peut le néant fondateur, le retourner, se laisser parcourir. Un duo partagé entre Carlotta Ikeda et Pierre Darde laisse entrevoir l’épuisement, l’extrême vieillesse, la folie. Capable de déformer absolument son visage, il accompagne Carlotta Ikeda sur un chant traditionnel auvergnat aux airs de partition lyrique et à la beauté saisissante.

Les interprètes se font passeurs, ils s’attachent à rendre palpable l’expérience de la destruction totale, à jamais impossible et pourtant fondatrice. Fidèles aux nuances que Carlotta Ikeda fait entrer dans sa maîtrise, ils font exister Un coup de don dans un espace et un temps intermédiaire. Soulignons ici l’entrée dans la compagnie de la japonaise Mai Ishiwata, d’une justesse puissante.

Lorsque la pièce s’achève autour des corps emportés; lorsqu’une chanson folk japonaise commence ainsi «l’autre face dévoilée de la lune s’enfonce dans l’obscurité — sable et pierres bleus où ont-ils disparu — malgré les pleurs qui a-t-on oublié?»; lorsque la lumière blanche, celle qui peut détruire et tuer, a été entrecoupée de noirs de théâtre; lorsque les corps se sont mêlés au point de disparaître; lorsqu’ils ont chuté et se sont relevés; il demeure des ruines, construites pour le spectateur, offertes à lui afin qu’il puisse s’appuyer sur une entité matérielle pour visiter son propre effondrement.

«Danse impuissante à danser.
Choses qui se détruisent et se détruisent encore.
Tu te mets à danser avec ton silence sur le silence.
Danse de ce son là même qui a tué le son.
Jamais je ne connaîtrai Hiroshima.»
(Ko Murobushi)

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