François Daireaux expose actuellement à la galerie des Filles-du-Calvaire, deux installations (Grisaille et Formité) réparties sur les deux niveaux de la galerie. En marge de ces deux installations, on peut découvrir également un diaporama (sur moniteur) de photographies couleur et un tirage argentique noir et blanc de grand format.
La première installation que l’on découvre en entrant dans la galerie consiste en une série de cinq éléments sculptés verticaux répartis dans l’espace (Formité, 2002). Ces structures sont comparables à des blocs de branchages agglutinés les uns aux autres, des fagots de bois debout. Leur stabilité tient à la section étudiée de leur base. Ces grands blocs tiennent sans trace de colle ni de soudure. Leur matérialité reste ambiguë à l’œil nu. S’agit-il de métal rouillé, de rondins séchés ? En réalité, ils sont faits de résine et de mousse florale.
Ces croisillons de bois mort occupent l’espace de façon inquiétante. Leur hiératisme spectral obstrue les perspectives, oblige à l’évitement. Leur équilibre d’une apparente précarité nous maintient en retrait. Une fois encore, si l’on se réfère aux autres installations réalisées par l’artiste ces dernières années, l’œuvre instaure une perturbation singulière de l’espace, par le rapport incertain entre les corps, les objets, les matériaux et le lieu. Dans Tapis (installation réalisée en 2002 à l’Artothèque de Caen), le spectateur piétinait des ballots de tissus colorés répartis sur le sol.
À l’étage de la galerie, l’installation intitulée Grisaille occupe non pas le sol mais les murs. Sur toute leur surface, tout autour de cet espace en mezzanine qui surplombe le travail précédemment décrit, sont disposés des cartons de grisaille — dessin en camaïeu gris. Ils sont répartis sur fond blanc et en quinconce sur quatre niveaux, du sol au plafond. Ces cartons reposent sur un linéaire fixé au mur. Quelques cent dix-huit tirages, tous différents, tapissent le mur comme autant de propositions de recouvrement potentiel.
Cet échantillonnage se déploie sous le regard du visiteur sollicité dans sa permanente évaluation, dans son constant repérage des infimes différences, des notables variations d’un motif à un autre ; situation certes comparable au désarroi que connaissent ceux qui décident de changer de papier peint. La gamme très étendue de motifs soulève des questions propres aux pratiques obsessionnelles.
Partant d’un vocabulaire et d’une syntaxe plastiques relativement restreints, voire contraints (bandes verticales parallèles d’un motif répété, inversé et alterné, gris sur fond blanc) l’œuvre s’impose dans son infinie diversité, interrompue seulement, semble-t-il, par les limites spatiales du lieu. À la « lecture » de ces planches de dessins posées contre le mur, qui pourraient être des planches d’anatomie descriptive ou d’obscure décomposition atomique de la matière dans son infinie multiplicité, quelque chose, une fois encore, nous perturbe. Cela est en rapport avec le sentiment confus de la vanité, propre aux tentatives d’exhaustivité vouées d’avance à l’échec. Cela rappelle le titre d’une œuvre de François Daireaux de 1998 : Ce que je cherche à faire.
Commune aux œuvres de cet artiste et propre, sans doute, à ceux qui se soumettent aux lois du travail en série, l’idée d’une fin incalculable, d’un finalisation impossible habite ces deux installations, réunies sous le titre Un certain nombre. Cette absence de limite s’y affirme paradoxalement comme un obstacle infranchissable qui impose les œuvres dans une dimension potentielle en devenir. Elle est la marque d’une travail qui explore inlassablement les limites physiques et matérielles de sa propre légitimité. C’est ce qui fait, entre autres, sa qualité.
François Daireaux :
— Mnogo, 2002. Diaporama de 785 images, 20’.
— Pour ne pas oublier 1, 2001. Tirage argentique noir et blanc contre-collé sur Dibon et encadré. 180 x 120 cm.
— Grisaille, 1001-2002. 118 tirages à jet d’encre sur papier arche, collés sur Dibon. 72 x 50,50 cm chaque.
— Formité, 2002. 5 éléments en résine et mousse florale. 187 x 110 x 80 cm chaque.