Ushio Amagatsu, Sankai Juku
Umusuna. Mémoires d’avant l’histoire
Ils sont peu nombreux les chorégraphes dont la signature artistique crève les yeux. Ushio Amagatsu, directeur et meneur de la compagnie Sankai Juku («l’atelier de la montagne et de la mer» en japonais) depuis 1979, appartient à cette frange rare dont le style, les motifs de prédilection, l’écriture, n’appartiennent qu’à lui et se repèrent immédiatement. Au-delà de sa silhouette entièrement couverte de talc, de son crâne rasé, reproduits à l’identique par ses danseurs tous masculins, ses mises en scène de rituels aiguisés, sa gestuelle fluide et chargée, possèdent l’impact d’une bombe à irradiation lente. Ce chorégraphe issu du Butô, mouvement avant-gardiste né à Tokyo dans les années soixante, proche du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, a fait évoluer son art vers une transe douce, celle de la métamorphose permanente des corps reliés au vivant dans sa dimension la plus large. La nouvelle pièce d’Ushio Amagatsu, dont le titre et le thème resteront secrets pour le public jusqu’au dernier moment, compte sur l’énergie sophistiquée de huit danseurs –dont le maître lui-même– pour nous faire couper les amarres du rationnel et plonger en apnée au plus enfoui de l’émotion. (Jeanne Liger)
Empreintes d’un temps enfoui
Un environnement de sable, omniprésent, où le geste se fait minéral, diaphane, dans un flux que seul le sablier du corps sait écouler. Umusuna, qui donne son nom à la dernière création d’Ushio Amagatsu et de sa compagnie sankai juku, est un mot venu du Japon archaïque.
«Umusu» signifie naître, commencer sa vie, venir au monde.
Une expression qui comporte aussi la notion double du tout et du rien, de l’existence et du néant. L’idéogramme «Na» évoque quant à lui la terre, le sol, le pays. Les titres des spectacles de Sankai Juku sont déjà , lorsqu’on entre dans leur polysémie, une forme de méditation poétique.
Ces «mémoires d’avant l’histoire», que les corps déchiffrent lentement comme autant de hiéroglyphes, sont les empreintes d’un temps enfoui dans les origines, une langue perdue, qui continue pourtant de parler en secret dans la chair et ses entrailles.
«Je veux penser que la danse commence dans le processus qui précède la naissance, et même plus avant, dans la répétition d’une évolution qui prit des centaines de millions d’années», écrit Ushio Amagatsu. Tous les spectacles de Sankai Juku peuvent être vus comme autant de rituels contemporains venant célébrer le cycle du vivant, en sa patiente et infinie renaissance. Issu du mouvement Butô, cette «danse des ténèbres» née dans le Japon des années 1960 où allait sourdre «la révolte de la chair», Ushio Amagatsu s’est progressivement éloigné de cette fièvre radicale et protestataire pour faire émerger un art plus cosmogonique : offrandes, psaumes d’humanité, quête d’un équilibre entre les mystères de l’univers et la métaphysique d’une présence au monde. «Le corps, enveloppé dans les forces de la Terre, abrite un esprit»: entre corps et conscience, Amagatsu calligraphie de fascinants tableaux mouvants en perpétuelles oscillations. (Jean-Marc Adolphe)
critique
Umusuna. Mémoires d’avant l’histoire