La composition des toiles de Frank Nitsche se présente d’abord comme un modèle de rigueur formelle, d’une complexité géométrique impressionnante. Chaque ligne semble indiquer les coordonnées d’une dimension nouvelle, qui complexifie la perspective de l’ensemble. Les axes se multiplient et se croisent, et le rythme des couleurs seconde les perspectives, les disposant dans l’espace plan de la toile comme des éléments d’architecture. La complexité de ces enchevêtrements dessine des espaces aux profondeurs abyssales.
Il faut faire un effort d’immersion pour pénétrer dans l’espace purement géométrique de ces œuvres. Le regard s’accommode progressivement à ces dimensions en tous sens, mais sans parvenir à se repérer réellement. Les lignes fuient l’espace de la toile, composent entre elles sans pouvoir s’imbriquer. Seul un travail soutenu de construction permet de donner une direction au mouvement, mais cette construction s’abîme dans une complexité intotalisable.
En s’approchant des peintures, on s’aperçoit que le dessin des formes est loin d’être aussi précis qu’on pouvait le penser. Quelques taches de couleur accrochent d’abord le regard, elles introduisent contre toute attente à la véritable dimension de la peinture: sa matérialité. La forme n’est pas un dessin, malgré les prouesses de perspective et l’aspect purement géométrique de ces compositions.
Ces taches peuvent être prises comme des traces: elles donnent vie et présence au geste du peintre. Si de loin ces œuvres pouvaient s’apparenter à des dessins industriels, tout droit sorties d’un cahier d’architecte, de près l’illusion s’efface. Le trait est hésitant, maladroit souvent, les couches de peinture ne se recouvrent pas parfaitement. On pourrait presque croire que ces formes ont été peintes à main levée, devant tant d’imperfections.
Un mouvement puissant se dégage de cette rencontre de l’abstraction la plus formelle, et de cette présence active de la matière. La complexité des perspectives s’alimente à la contingence d’un trait incertain. La rigueur de la construction n’est pas le fruit d’un calcul appliqué, mais le résultat improbable d’un travail où pointe l’improvisation.
A cette exposition des toiles récentes de Nitsche s’ajoute un ensemble de quatre œuvres de Roger Hiorns, dont deux carreaux de fenêtre sur lesquels s’est déposée une matière organique, pris dans un coffrage en plexiglas.
Hiorns travaille sur la rencontre et la transformation des matériaux. Les objets de notre quotidien sont ici assemblés de manière assez désarmante. La matière organique qui se dépose sur la vitre continue certainement sa vie autonome, malgré le plexiglass: elle est recouverte et exposée, sans être pour autant fixée. La poussière de carbure de tungstène, gisant dans un coin de la salle, fait écho à cette part vivante de l’œuvre, dont le devenir est avant tout un processus d’altération et de décomposition.
English translation : Rose Marie Barrientos
Traducciòn española : Santiago Borja
Frank Nitsche
— Nex-15-2006, 2006. Huile sur toile. 45 x 40 cm.
— Bol-12-2006, 2006. Huile sur toile. 200 x 155 cm.
— Him-17-2006, 2006. Huile sur toile. 44 x 32 cm.
— Ubs-02-2006, 2006. Huile sur toile. 185 x 155 cm.
— Pul-11-2006, 2006. Huile sur toile. 190 x 210 cm.
— Lop-09-2006, 2006. Huile sur toile. 220 x 300 cm.
— Fle-13-2006, 2006. Huile sur toile. 98 x 82 cm.
— Liz-10-2006, 2006. Huile sur toile. 210 x 175 cm.
— Fil-14-2006, 2006. Huile sur toile. 63 x 38 cm.
Roger Hiorns
— Untitled (RHI04-16), 2006. Carbure de tungstène. Dimensions variables.
— Untitled (RHI04-14), 2006. Technique mixte (carreau de fenêtre, matière organique, coffrage en plexiglass). 40 x 50 x 6 cm.
— Untitled (RHI04-15), 2006. Technique mixte (carreau de fenêtre, matière organique, coffrage en plexiglass). 49 x 65 x 4 cm.