Armando Andrade Tudela, Götz Arndt, Ben Laloua & Didier Pascal, Karina Bisch, Karla Black, Katinka Bock, Simon Boudvin, Martin Boyce, Valentin Carron, Nicolas Chardon, Stéphane Dafflon, Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Jason Dodge, Experimental Jetset, Yann Géraud, Roger Hiorns, Chris Johanson, Genêt Mayor, Mathieu Mercier, Olivier Mosset, Gyan Panchal, Diogo Pimentão, Falke Pisano, Lili Reynaud Dewar, Soraya Rhofir, Evariste Richer, Clément Rodzielski, Team Tchm, Jan van der Ploeg, Jens Wolf, Raphaël Zarka
Ultramoderne
Au début des années 2000, quelque cent ans après l’émergence de la modernité occidentale, s’affirme un désir renouvelé de la part des artistes de mettre en jeu une série de formes et de notions propres aux avant-gardes dites historiques. Les expériences du Bauhaus, des Constructivistes ou de De Stijl constituent des modèles tant esthétiques que politiques. A partir de ceux-ci se construit un rapport à l’histoire différent, se pose la question d’un héritage formel et d’un projet de société communs et, de ce fait, celle du statut de l’art et de l’artiste.
«Ultramoderne» est né du désir d’imaginer un lieu, d’imaginer l’exposition comme une forme dont tous les paramètres peuvent être remis en jeu. Une règle, proposée à chaque participant, les invite à prendre en charge l’un des aspects du projet. Définies au préalable, les différentes fonctions de l’espace donnent alors lieu à un programme, comparable à un programme architectural. Autour d’une série de fonctions générales sont déclinées différentes modalités d’interventions pouvant répondre à l’ensemble des besoins. « Se réunir », « mettre en forme», « archiver », « communiquer », « sélectionner » représentent autant de possibilités d’inventer, d’opposer ou de substituer une série d’éléments qui définissent la forme du projet. Chacune des fonctions en implique de nombreuses autres qui ne peuvent se concevoir qu’en étroite relation les unes avec les autres. Ces multiples propositions à l’intérieur du projet composent alors le paysage de l’exposition, et ne permettent pour autant pas de présager, à l’avance, de sa forme finale.
L’exposition propose un ensemble de formes dont tous les détails sont négociés, des manières de construire, d’exposer ou de communiquer. L’exposition présente alors les signes produits par une communauté temporaire, invitée à réinventer son cadre global d’apparition réel ou supposé. Elle est un lieu, à la fois physique et mental : l’exposition est bel et bien située, mais elle apparaît également dans l’espace public au-delà du lieu.
Elle interroge évidemment une série de modèles historiques. Son objet consiste en le fait d’en expérimenter les principes dans un autre contexte, et d’en révéler les potentialités, comme les limites. En s’appuyant sur le travail d’artistes actifs dans différents pays, l’exposition propose à une série de créateurs de tous horizons de mettre en jeu les référents qu’ils manipulent : la notion d’usage et de
fonction des oeuvres, l’utilisation d’un répertoire de formes liées aux premières abstractions, l’idée de communauté et de mémoire commune, comme de façons d’habiter. La modernité, socle commun à de multiples pratiques, révèle dans le même temps des différences historiques, culturelles et politiques, dès lors que l’on envisage son histoire à l’échelle globale.
Le projet se fonde donc sur des pratiques et des référents partagés, articulés autour d’un projet commun. Pour autant, il ne nous apparaît impossible d’aspirer aujourd’hui à « un moyen de création objectif et universel » (Van Doesburg, Conférence au Congrès des Artistes Progressistes, Düsseldorf, 1922). Il s’agit plutôt de nous travailler aux marges de ces utopies, pour expérimenter un autre mode de production, d’exposition, et de relation entre l’oeuvre d’art, le lieu, et son public. Aux standards du lieu d’exposition se substituent d’autres standards possibles, à la standardisation des espaces sont opposées des structures partagées, pouvant devenir à leur manière de nouveaux standards : oeuvres, objets, images, nouveaux ou existants, reformulés ou activés dans ce contexte choisi, proposent au spectateur un exercice de lecture à différents niveaux. Il est ainsi invité à découvrir un lieu et des oeuvres au statut
ambigu, entre exposition et décor, architecture et pavillon d’une exposition universelle, et à éprouver des formes à la valeur d’usage indéterminée.
Le café de l’Aubette, à Strasbourg, apparaît parmi d’autres comme un modèle possible. Entre 1926 et 1928, l’Aubette était un vaste complexe de loisirs dont les décors avaient été imaginés par trois artistes de l’époque : le couple Hans et Sophie Taeuber Arp et Théo van Doesburg. Les oeuvres des artistes constituaient le décor même du bâtiment qui s’étendait sur quatre étages : dans les salles de danse, le cinébal, la brasserie, les cafés, les salons de thé, le foyer-bar et la salle de billard. Mais l’Aubette, qui devait être le manifeste de De Stijl et l’application la plus aboutie des théories de Van Doesbourg, n’a finalement jamais eu le succès escompté. C’est alors la notion de projet, mais aussi d’échec qui nous intéresse. L’exposition, entre idéal et ruine modernes, apparaît comme en perpétuelle construction ou déconstruction, rénovation et entropie. Le projet met en balance une forme de manifeste à rebours, ne d’un désir nécessaire de réinvention permanente, et un regard paradoxal sur le passé, conjugué au futur, au travers de la mise en
scène d’un espace potentiel.