Stéphane Le Mercier
Últimos Dias
En 2002, Stéphane Le Mercier a présenté à la galerie Oberwelt, à Stuttgart, une œuvre intitulée Everything You Forget is Mine (Tout ce que vous oubliez m’appartient).
Cette phrase s’est imposée comme principe générique de sa production. Repenser des expériences passées est une constante son travail. Des formes à priori banales s’avèrent à l’usage, selon le contexte et l’expérience, les conditions culturelles et économiques des formes de production et de monstration des oeuvres de plus en plus complexes.
Que ce soient les aquarelles (Vite) composées d’aplats monochromes et de locutions extraites en partie des médias internationaux, ou les moulages en plâtre d’emballages collectés dans l’espace public (La Reproduction), ou bien le livre d’artiste (texte combinatoire réalisé à partir de sa collection de cartons d’invitation), il s’agit toujours de s’appuyer sur des éléments préexistants.
Ce goût pour le réel, ce refus de «se raconter des histoires», désignent une urgence où s’entrecroisent analyse critique et recherche poétique.
«Últimos Dias» vise à réunir pour la première fois plusieurs de ces ensembles.
— Ainsi, 1989-1999 rend compte de dix années de collecte photographique et sera exposé sous sa forme vidéographique réalisée en 1999 à la Cité Internationale des Arts. Cette œuvre à la maturation lente s’inspire des travaux sémiologiques d’Aby Warburg, de la volonté qu’il eut sans cesse de reconstituer sa collection photographique, d’organiser les signes et les motifs en un système complexe.
— La Reproduction se donne à voir comme une collection de points aveugles, moulages rapides (la forme trouvée servant de moule) puis lentement recouverts de graphite et de mine de plomb. Cette série renverse le processus habituel du moulage: les moules édités à des centaines de milliers d’exemplaires (blisters, emballages en plastique) produisent paradoxalement une forme unique. De plus, le lent recouvrement de ces formes simples à l’aide de graphite et de mine de plomb leur octroie un statut ambigu, à la fois banal et précieux.
— Les Monoblocs sont des meubles réalisés, découpé dans les cimaises inutilisées de centres d’art (ici, en l’occurrence celles du Frac Paca). Ce sont des modules pratiques, rapidement réalisés, susceptibles d’accueillir d’autres travaux ou de servir de points de vue (tabourets, bancs, pupitres) donnant sur l’exposition même, la redessinant en somme, la travaillant toujours comme un matériau vivant. La constante référence au paysage moderne, l’économie des moyens utilisés, l’attirance pour des objets figés dans leur évolution formelle, leur perception physique brouillée (accumulation, couleur noire et brillante, vidéo accélérée) désignent ce «bas réalisme», synonyme d’humilité et d’aventure.
Le goût pour les lieux de passage, les non-espaces échus dans l’imaginaire contemporain à des activités plus ou moins licites, pour ces organisations humaines, architecturales à la périphérie des centres urbains tentent d’inscrire durablement ces formes en négatif et de les opposer aux signes rationnels et marchands.
Loin d’une revendication postromantique ou d’un goût idéalisé pour les friches et les marges, il s’agit d’aborder ces «blocs» concrets comme autant de laboratoires du sensible. S’attacher à des objets, à des lieux oubliés, c’est encore s’attacher à la question du réel.