Le débat actuel sur la légitimité du religieux ou du politique à juger de ce qui serait ou non offensant dans une oeuvre d’art, a occulté le drame que vivent actuellement un nombre d’artistes incriminé(e)s dans cette malheureuse aventure. Or, cela fait quatre jours qu’une dizaine d’artistes, en grande partie des femmes, qui ont participé à l’exposition «Tunis Art Fair», au Palais Abdellia et au Bchira Art Center, sont l’objet de menaces de mort, d’insultes et de harcèlement continu, au point que certaines d’entre elles ont quitté le pays.
Pris dans l’hystérie collective sur le sens des images, on n’a pas mesuré la gravité de cette situation inédite qui nécessite une réaction urgente et efficace de la part des autorités et de la société civile. Il est inadmissible dans un Etat de droit que des citoyens, en l’occurrence des créateurs pour la plupart enseignant(e)s d’art, soient non seulement livré(e)s à la vindicte populaire mais craignent à tout moment pour leur vie et pour celle de leurs enfants, tout simplement parce qu’ils ou elles ont participé à une foire d’art dont 3 oeuvres ont été jugées «officiellement» douteuses.
Il est triste de rappeler que des situations similaires n’ont existé que dans les pires moments de l’histoire: rien que dans un passé proche, celui des années noires qu’a connues l’Algérie, c’est dans cette même insouciance des autorités qu’a débuté l’extermination des artistes et des intellectuels. La scène culturelle s’en remet difficilement, encore aujourd’hui.
Et même, si selon certains, nous ne devrions pas nous alarmer outre mesure de ces menaces dont les auteurs doivent être identifiés et jugés, il n’en reste pas moins que leurs conséquences pèseront lourdement: préjudice et traumatisme des créateurs mais aussi des jeunes qui se destinent à la création, image d’une Tunisie qui est loin de correspondre à la réalité de sa société, marasme dans la vie culturelle, crainte constante pour les libertés d’expression…
C’est pourquoi quelque soit notre option idéologique, dès l’instant qu’elle refuse la violence, on ne peut rester insensible à ce mode d’intimidation qui menace la force vitale d’une société, dans un futur proche, voire pour longtemps.
Rachida Triki
Universitaire, Critique d’art