Tsuyoshi Ozawa

Petites sculptures, peintures et photographies mettent en scène l’existence de petits personnages japonais. Mythologie personnelle, réponse amusée et amusante à des théories anciennes, l’œuvre nous laisse dans l’incertitude d’une histoire disparue ou totalement inventée. Ces traces du passé se transforment alors en témoignage fictif et la réflexion — qui s’opère sur la réalité — interroge le pouvoir de l’image et sa narration.

On entre dans la salle comme dans un musée d’anthropologie. Ce qui s’y raconte est d’un autre temps, d’une autre époque. Une guirlande d’objets en terre cuite attire l’œil. De quoi s’agit-il ? Vestiges d’une civilisation inconnue, ils témoignent de l’existence d’un peuple ancien. Les Koropokkurus, pygmées apparus dans une légende lointaine avaient pour habitude de suspendre leurs poteries. Allusion, reconstitution : l’artiste se substitue à l’archéologue. Toutes les pièces sont intactes. Le temps n’a laissé aucune trace de son passage. La fiction mise en place est troublante. Que cherche-t-on à nous faire croire ? Les photographies des fouilles réalisées dans le jardin d’Ozawa apportent de la crédibilité à l’ensemble. Les tranchées et les jalons métalliques fixent les repères spatio-temporels qui faisaient défaut jusqu’alors. Les sujets miniatures sont alignés dans les sillons de terre, tombés à l’aplomb de leur apesanteur préméditée. Si au premier abord notre œil est sans méfiance, à bien y regarder on soupçonne l’artifice. La mise en scène devient alors moins réaliste. Les trouées qui criblent le sol ont des formes géométriques injustifiées. L’alignement parfait n’est plus qu’un dessin improbable et l’endroit, le théâtre d’une imposture. L’artiste brouille les pistes. Une série de toiles semble nous livrer le début d’une explication. Impressions passagères. Narration énigmatique. Un petit être sort d’une tente en branchage et tient dans ses bras un poisson gigantesque. Pas de paysage. Où sommes-nous ? Le ciel arbore les empreintes des objets suspendus. Cette frise se poursuit d’un tableau à l’autre et le hors-champ utilisé guide notre regard. Déplacement panoramique. On pivote sur nous-mêmes pour retrouver dans le coin droit une autre suspension. Passage, va-et-vient entre chaque image : Ozawa alterne les mouvements. Le cube peint sur le mur à l’entrée de la salle en devient le symbole. Le jeu d’optique fait écho à l’illusion de réalité mise en espace autour de nous. L’alternance entre la profondeur et la surface éveille l’indécision du regard et souligne un questionnement. Quelle certitude peut-on avoir face à une image ?

La jeune femme photographiée qui nous fixe depuis le début de notre visite, incarne l’ambivalence présente dans l’exposition. Assise devant une fenêtre, elle tient dans ses mains un revolver factice. Constitué de poisson cru et de légumes, l’arme réduite à l’idée de ce qu’elle présente, paraît bien dérisoire. Le piège se referme. Le spectateur trompé prend du recul. Face à ce dernier cliché, on comprend que tout ce qui vient d’être traversé n’est que de l’ordre de l’imagination. Ozawa nous a mis face à une réalité fictive, à une vérité qui devient aléatoire.

On sort de la salle comme on termine un conte, avec l’envie secrète que tout ce qui vient d’être lu soit quelque part plausible. Cet espace fantastique, en attente de réalisation, trouve un pendant dans l’installation de Johannes Wohnseifer présentée dans la grande galerie. Une épaisse fumée, vapeur d’eau lourdement ancrée au ras du sol, laisse saillir ça et là des débris métalliques aux contours agressifs. Autre contexte. L’artiste nous confronte à la réminiscence de souvenirs familiers. Ce crash aérien prend des allures esthétiques. Il renvoie à la fois à un évènement particulier et à son idée générale. L’horreur de la catastrophe est-elle édulcorée ou réduite à une simple caricature ? Cette vision synthétique suffit à ouvrir un champ de possibles plus vastes. Les références personnelles de l’artiste se perdent dans les pensées multiples de chaque visiteur. L’idée d’une culture accessible à tous rend l’objet exposé plus riche en interprétation. Wohnseifer plante un décor et laisse le spectateur se raconter sa propre histoire. Il s’approprie l’instant et l’espace qui lui est offert. Il construit avec les images données et les répercussions qui s‘y rattachent une nouvelle narration, mélange d’imaginaire et de connaissances acquises.