Tu fais partie de l’exposition collective «Situation(s)» du Mac/Val. Peux-tu revenir brièvement sur ton parcours?
Tsuneko Taniuchi. J’ai commencé par une formation en histoire de l’art occidental du XXe siècle que j’ai complétée par des études en sociologie à l’université de Kobé au Japon. Puis j’ai étudié la peinture aux Beaux-Arts de Paris pendant deux ans.
Au départ mon travail s’inscrivait dans la lignée des artistes post-minimalistes comme Eva Hesse. Dans un autre registre Blinky Palermo fait lui aussi partie des mes références. Je travaillais la couleur et la matière en réfléchissant déjà sur la notion de corps et sa place dans ma pratique. La performance est venue plus tard.
D’origine japonaise, tu vis en France depuis 1987. Pourquoi as-tu décidé de t’installer ici? Cette décision a-t-elle eu un impact sur ta pratique artistique?
Tsuneko Taniuchi. Je ne trouvais pas ma place en tant que femme-artiste au Japon. Paris s’est imposée comme la ville où m’installer et travailler. Il n’y a pas eu de choc culturel. J’ai l’habitude de dire: «J’aime la France et la France m’aime !».
Concernant ma pratique artistique, cela n’a pas eu une incidence directe sur ma production.
Tu es notamment connue pour tes performances. Or, depuis une quarantaine d’années, les débats sur la performance tournent toujours autour de sa définition. Quelle serait ta définition de la performance?
Tsuneko Taniuchi. Définir la performance n’est pas simple. Selon moi c’est un terme générique qui englobe les évènements de Fluxus, les happening de Kraprow, mais aussi à l’actionnisme viennois. Pour ma part, je ne m’inscris pas dans la lignée des performeurs tels que Bruce Nauman, Vito Acconci, Dan Graham ou encore Valie Export. Ces artistes ont débuté par la performance et ont ensuite déplacé leurs pratiques artistiques en réalisant des installations, des vidéos, etc. J’ai commencé à pratiquer la performance en 1995 dans un contexte très différent de celui des années 1960. Pour ma part, je parle de «micro-événements».
Depuis 1995, tu qualifies tes actions de «micro-événements». Pourquoi préfères-tu ce terme à celui de «performance»?
Tsuneko Taniuchi. Le micro-événement est une sorte de plateforme marquée par la volonté d’être au même niveau que le public. Je sollicite son engagement en le conviant à participer à une expérience. Il s’agit de construire des évènements au niveau individuel, des actions ciblées. La notion de «micro» c’est par opposition à «macro». Les micro-événements questionnent toujours la limite entre la réalité et l’art. Il s’agit donc de bousculer le réel, les traditions, les représentations, détourner les codes.
La performance n’existe véritablement que dans l’instant de son déroulement. Une fois exécutée, il n’en reste que des documents-témoins: éléments préparatoires (textes, protocoles), objets utilisés, photographies ou vidéos. Quelle place accordes-tu aux traces? Ont-elles la même valeur que l’action de la performance au présent dont elles découlent? Ont-elles une valeur d’œuvres d’art en soi, puisque à terme ce sont elles qui sont exposées?
Tsuneko Taniuchi. J’ai toujours filmé ou photographié mes actions. D’une part, à titre d’archives, d’autre part pour générer de la matière de travail. Je pense toujours la mise en place d’un dispositif afin de constituer des œuvres originales à partir de ce que tu nommes «traces». Tout est lié: la préparation de l’évènement, le moment de la performance ainsi que la réalisation d’une pièce à partir des traces. Cela fonctionne comme un ensemble.
En 2011 au Générateur j’ai réalisé Micro-événements / Résistances quotidiennes. L’exposition était conçue comme une rétrospective des quarante et un micro-événements crées depuis 1995. L’évènement combinait des mises en scène de performances antérieures que je rejouais, des narrations par des acteurs de certains micro-événements ainsi que des projections de lumières. L’objectif étant de mettre en avant la question de la transmission de la performance, art par essence éphémère.
D’abord plutôt post-minimaliste, tu prêtes attention à la fin des années 1980 à l’histoire et à la société contemporaine, en prenant en compte ta position de femme. Comment se manifeste la dimension politique et sociale de ton travail?
Tsuneko Taniuchi. Le point de départ a été un film de Roberto Rossellini, Allemagne année zéro et la photographie d’un garçon jouant au milieu de ruines. Je me suis alors demandée comment la succession des générations a pu conduire à l’état actuel de l’humanité. J’ai alors commencé à réaliser des installations dans lesquelles j’intégrais une dimension plus historique et politique avec entre autre une réflexion sur la place de la femme dans la société.
Par ailleurs, mettre en jeu son propre corps dans l’espace public est un acte politique.
Quelle place et quel rôle occupe ton corps dans ta pratique artistique? Fonctionne-t-il comme un simple outil, ou est-il porteur d’autres significations?
Tsuneko Taniuchi. Mon corps est évidemment l’outil principal de mes performances. Il est le déclencheur de l’action. J’envisage les micro-événements comme la connexion, dans l’espace public, de l’énergie des corps et des imaginaires en présence. Le corps est le lieu de la confrontation
La pièce que tu présentes au Mac/Val s’intitule Micro-événements de mariages. Peux-tu expliquer comment elle se situe dans l’exposition et dans ton œuvre?
Tsuneko Taniuchi. Micro-événements de mariages est une pièce que je développe depuis plus de dix ans. Pour Situation(s), la proposition est venue de Frank Lamy, le commissaire d’exposition. C’est une rétrospective des micro-événements de mariages qui regroupe au sein d’une installation toutes ces actions.
Le premier micro-évènement de mariage a eu lieu en 2002 à la galerie Jennifer Flay. L’idée vient d’une installation intitulée Future épouse aime faire de la peinture réalisée dans la vitrine de Rougier et Plé la même année. Pour cet événement j’étais dans la vitrine habillée en robe de mariée exécutant en direct une peinture. Jouant sur le registre du comique et de l’absurde, je portais un regard ironique sur le statut de la femme.
Le mariage a une place importante dans l’inconscient collectif. Il est à la fois le symbole du romantisme, de l’amour, de l’individuel mais c’est aussi une institution forte avec ses codes et ses traditions. Je transforme ce rituel en forme artistique afin de désacraliser l’évènement. Le fait de multiplier ces micro-événements participe de cette idée. C’est dans la répétition jusqu’à l’épuisement que s’éprouve la perte de la signification.
Dans tes micro-événements de mariages tu sollicites la participation du public. Quelle place lui accordes-tu dans tes actions? Une performance requiert-elle nécessairement un public?
Tsuneko Taniuchi. Pour moi la présence du public est indispensable, sans elle une partie de mon travail n’existerait pas. Je réalise beaucoup de performances participatives. La relation public/artiste est centrale, qu’il y ait contact physique ou non il y a toujours sollicitation. Ce qui m’intéresse c’est le potentiel de rencontres et d’expériences que les situations offrent.
Quels sont tes projets? D’autres micros-évènements sont-ils en préparation? Des expositions sont-elles prévues?
Tsuneko Taniuchi. Actuellement, il y a l’exposition Néon au musée d’Art Contemporain de Rome réalisée par David Rosemberg et Bartolomeo Pietromarchi. Elle a lieu jusqu’en novembre 2012. Concernant les projets à venir, il n’y a rien d’officiel mais les travaux sont en cours. Une chose est sûre c’est qu’il y aura encore des mariages!