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Troubles aux frontières

Limites, fermetures, lieux de passage, les frontières, par nature ambivalentes, réelles ou imaginaires,  physiques ou mentales, sont le prétexte à réunir trois artistes cosmopolites chez Marian Goodman, en collaboration avec Caroline Bourgeois. À l’heure d’une globalisation qui ne les a en rien effacées, la suite des vidéos présentées, du rez-de-chaussée à la cave voûtée, glisse d’une évocation poétique à une allégorie vibratoire énigmatique.

Toute frontière, bande blanche sur le bitume ou barbelés à perte de vue, fut ou est l’objet de conflits ancestraux, parfois contenus dans des rituels spectaculaires, comme ceux que filme avec gourmandise Amar Kanwar, entre l’Inde et le Pakistan.
Une parade de gardes-frontières, en uniformes ad hoc, entre défi et séduction, sert de point de départ à une réflexion poético-philosophique sur l’indécidabilité que cette limite induit, entre dehors et dedans, passage et interdit.
Un plan magnifique synthétise cette situation paradoxale : les pas de danse qu’effectuent à leur insu les pieds et jambes des porteurs indiens et pakistanais, qui s’échangent au-dessus de la ligne de démarcation, sans la franchir, de lourdes charges de marchandises.
Comme dans Lightning Tesmonies que l’on avait vu l’an passé à la galerie, qui comportait plusieurs projections simultanées agencées en un tissage serré et précis, les plans tournés par Amar Kanwar sont montés avec des images d’archives, et servent de support à la voix off de l’artiste, dont le discours prend le risque d’en escamoter les lignes de fuite.

Au sous-sol, Yael Bartana, artiste israélienne, est aux prises avec des frontières tout autres, celles introuvables d’une diaspora exterminée, et celles d’un pays à l’existence et aux territoires controversés.
Mary Koszmary, que l’on avait vue au Centre Pompidou l’année dernière, est une œuvre déconcertante, au meilleur sens du terme. Un pastiche de film de propagande socialiste met en scène un jeune politicien polonais, applaudi par quelques pionniers à l’enthousiasme policé, qui harangue, avec conviction, les tribunes vides et abandonnées à la végétation d’un stade olympique désaffecté, pour implorer les quelques 3 millions de Juifs que la Pologne comptait avant-guerre de revenir y vivre, au nom de cette altérité, si nécessaire à la projection dans l’avenir d’une société, et ainsi changer la vie de 40 millions de Polonais. L’appel claque dans le silence de la galerie, et des tribunes, comme une utopie à jamais sans objet.

En alternance, sur un petit écran, une autre utopie. La caméra suit, dans un léger vignettage qui évoque une vision onirique, un homme qui rame jusqu’à un îlot au large de Jaffa pour y substituer un jeune olivier au drapeau israélien.

Pour finir, une curieuse pièce de William Pope. L. A l’écran une grosse fleur jaune vibre dans un tremblement incertain; en quelques secondes, son cœur s’efface, se creuse pour laisser entrevoir le visage d’un nègre au rire édenté, sur quelques bribes d’un vieux blues. Puis la fleur et son cœur noir reprennent le dessus, dans un cycle sans fin. Une joie ensoleillée irradie ce jeu d’apparition/disparition, qui joue d’un vieux cliché, au propre comme au figuré, du nègre éternellement insouciant. Ambivalence et trouble. Frontière.

Amar Kanwar
— A Season Outside, 1997. Vidéo, couleur, son, anglais. 30 min en boucle.

Yael Bartana
— Mary Koszmary, 2007. Installation vidéo et sonore, film 16mm transféré sur DVD, couleur, son. 10 mn 50 s en boucle.
— A Declaration, 2006. Vidéo projection, couleur, son. 7 min 30 sec en boucle. Bande son de Daniel Meir.

William Pope.L
— Consuming the center (Figment), 2004-2008. Video, couleur, son. 3 min en boucle.

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