La nature est un mythe avant d’être une réalité: l’évidence de sa présence se dissout dans les innombrables transformations apportées par la main de l’homme, sans qu’on puisse opérer un strict partage entre le naturel et l’artificiel.
Nos paysages occidentaux sont des lignes tracées sur des territoires, espaces cultivés ou aménagés, toujours circonscrits. A cette nature domestiquée, la végétation tropicale oppose le visage luxuriant d’une densité difficilement accessible. La forêt tropicale n’est pas un paysage que l’œil puisse embrasser dans son champ, mais une masse compacte à la vitalité inquiétante.
Paradis perdu ou labyrinthe infernal, le poumon vert de la planète cristallise les représentations les plus opposées. Cinq artistes se relaient pour transformer le Palais de Tokyo en espace tropico-végétal, proposant un parcours-promenade à travers différentes mises en scène de l’idée de nature.
Le grand mur de l’entrée est occupé par une installation de Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger: Grottes sauvages sur forêt cérébrale civilisée. Toute la longueur de ce mur est recouverte d’un papier peint, innervé par un motif symétrique sur le modèle des peintures pliées, où le fil de couleur se substitue au tracé du dessin. Des photographies accrochées parsèment ce mur immense, images confuses recomposant une nature de synthèse, hybride et méconnaissable.
Le règne végétal est ici restitué à la toute puissance de ses ramifications multiples: le pouvoir des genres est destitué au profit d’une prolifération des formes. L’ordre institué par le savoir est impuissant à mettre en pratique ses repères. Arrachée au découpage scientifique, la nature est abandonnée à des mariages improbables, inventés par l’imagination, figurés par les moyens techniques.
L’installation de Sergio Vega, Crocodilian Fantasies, invite à s’immerger dans un salon tropical. La sophistication du design s’alimente à l’effet apaisant d’une présence naturelle: un tapis en forme d’étang est recouvert de coussins-nénuphars. Les plantes qui ornent ce salon servent d’ornement, et d’immenses photographies de nénuphars sur les murs complètent ces artifices de la décoration végétale.
Cet espace chaleureux absorbe dans ses tissus la vitalité de l’organique. Métamorphosée par l’intimité, la nature d’intérieur est le royaume de l’artificiel, un monde où les plantes en plastique ont l’avantage de ne jamais se flétrir. Aseptisée par le design, elle est privée de son cortège animal: tout danger est désamorcé dans cet espace où les crocodiles sont en plastique.
Land Mark, de Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, montre le monde comme un territoire. Chacun des pas que nous faisons sur les terres laisse l’empreinte de nos attentes et de nos conflits. L’exploration de nouveaux espaces est toujours la conquête d’un territoire.
Le sol de l’exposition est recouvert d’un quadrillage plastifié, dont les effets de perspective donnent une impression de relief. Déstabilisé par cette illusion, le pas perd son assurance, impuissant à s’approprier un espace qui le fait vaciller.
Au mur, des photographies de traces de pas sur le table rappellent l’importance politique de l’exploration, et la transformation irréversible de l’espace naturel en territoire.
Henrik Hâkansson arrache la nature à ce sol où elle s’enracine, privant les plantes de leur vie souterraine nourricière. Le miracle de la technique est qu’elle peut créer ses propres conditions de vie, aussi éloignées soient-elles de la nature. A travers bois pour trouver la forêt réunit deux grandes installations. Une centaine d’orchidées poussent sur une branche pourvue de ses racines, tout en étant suspendue en l’air. Des humidificateurs assurent l’invraisemblable survie de cette vie à l’envers. Dans Fallen Forest, de grands arbres sont renversés à l’horizontale: au dos de ce tapis de feuille mural, les racines sont enfermées dans des pots de plastique.
Salla Tykkä présente un film mystérieux, Zoo, dans lequel une femme blonde s’aventure seule dans un zoo immense, armée d’un appareil photo. Son tailleur strict d’un autre temps et son chignon évoquent sans hésitation le personnage de Kim Novak dans Vertigo. Cette aventure photographique est entrecoupée de scènes montrant des joueurs de rugby sous l’eau. L’impression d’étouffement distillée par la vision des animaux en cage est relayée par ce ballet aquatique. Le montage des deux films crée une tension dramatique entre ces univers hétérogènes, malgré l’absence de tout élément narratif.
Ces cinq expositions personnelles filent le motif d’une nature métamorphosée par la main de l’homme, abandonnant le thème de l’origine aux grands mythes de l’humanité. Végétal-tropical est le nom de code d’un programme conçu par l’esprit et ses ressources artificielles.
Traducciòn española : Santiago Borja
English translation : Laura Hunt
Henrik HÃ¥kansson
— After Forever (ever all), 1998-2005. Installation : plantes vertes, bois, système d’arrosage, humidificateur, éclairage haute pression au sodium.
— Orchid (Instrumental), 2002. Installation : branche d’arbre, orchidée, humidificateur, éclairage haute pression au sodium.
— Through The Woods To Find The Forest, 2003. Film 16mm. 52 s. en boucle.
— Broken Forest, 2006. Installation.
— Jan. 21, 2005 (Eulampis jugularis), 2005. DVD vidéo. 5 mn 13.
— Jan. 10, 2005 (Eleutherodactylus martinicensis), 2005. DVD vidéo. 51 mn 50.
— Sleep (Eunectes murinus), 1998. Vidéo. 3 h 19 mn 58 s.
Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla
— Land Mark, 1999-2003. Installation : revêtement de sol en feutre.
— Landmark (foot prints), 2001-2002. Série de 24 photographies couleur. 50 x 60 cm chaque.
— Under Discussion, 2005. Projection vidéo. 6 mn 14.
Sergio Vega
— Tropicalounge, n.d. Installation.
— Crocodilia Construct, 2002. Installation.
Gerda Steiner & Jörg Lenzlinger
— Grottes sauvages sur forêt cérébrale civilisée, 2006. Installation.
— Giardino Calante, 2003. Installation.
— Como llegó la morsa a Madrid?, 2003. Installation.
— Casa Encendida, Madrid, n.d. Installation.
Salla Tykkä
— Zoo, 2006. Vidéo. 12 mn.