Depuis janvier 2005, l’Institut Goethe consacre un cycle d’expositions à la jeune photographie allemande. Trois maîtres de renom, Jörg Sasse, Timm Rautert, et Thomas Ruff, représentants des trois plus célèbres écoles allemandes de photographie: Essen, Leipzig et Düsseldorf, présentent leurs meilleurs élèves. Après le cycle consacré à Essen autour de Jörg Sasse, c’est au tour de Timm Rautert, professeur à La Hochschule für Grafik und Buchkunst (École supérieure d’Arts graphiques et d’Arts du Livre) de Leipzig d’exposer ses élèves. La galerie de Condé permet de découvrir actuellement Falk Haberkorn et Sven Johne.
Un projet fou. Deux très jeunes photographes, Falk Haberkorn, allemand, et Sven Johne, norvégien, décident de partir à l’aventure. Leur rêve? Découvrir un endroit sur terre qui serait «leur» utopie.
L’occasion se présente à l’automne 2004. Pour le quinzième anniversaire de la chute du mur, les deux artistes choisissent de parcourir en voiture l’ex-RDA. Afin de dresser un état des lieux du pays tout d’abord, et de la vie au coeur de ses Länder déconcertants. Mais surtout pour commencer un formidable «voyage en utopie». Après 8000 km parcourus, ils trouveront leur «utopie», qui est ici exposée.
Les paysages traversés lors de ce road-movie d’automne en ex-RDA, sont donc la matière de l’exposition. Falk Haberkorn a pris, en noir et blanc, tous ses clichés en voiture.
La vitre et le rétroviseur qui sont toujours apparents encadrent les paysages. Souvent pluvieux, vides de gens, alternant barres HLM, panneaux d’affichage ringards, chaussées défoncées et alignement de citernes, ces paysages transpirent la tristesse. Seulement quelques uns des 150 clichés réalisés sont exposés sous le titre paradoxal de Ruée vers l’or. Ruée vers l’utopie d’un monde meilleur, plus riche, après la réunification. Avec les résultats que l’on sait, ici photographiés…
Sven Johne, quant à lui, travaille en couleur et sur de plus grands formats. Sa série s’intitule tout simplement «Paysages est-allemands». Il s’agit de terres en friche, désertiques, plus ou moins désolées, et annotées. Aucun sens précis n’est à attendre de ces annotations faites de coupures de presse contemporaines du road-movie. Leur lien avec les photos? Le décalage entre la réalité extérieure et celle qu’on s’est construite, celle qu’on attendait.
L’utopie, en fait son impossibilité, les deux photographes ont fini par la rencontrer quand ils sont tombés par hasard sur Tropical Island, qui donne son nom à l’exposition.
Tropical Island est une île artificielle, gigantesque complexe de loisirs, construit sur un hangar désaffecté, situé au bout du monde, aux fins fonds de la basse-Lusace.
Cette île était, pour les ouvriers de RDA qui ne partaient jamais en vacances, un paradis à portée de main, avec lagune, palmiers et plantes tropicales. Seulement voilà , l’utopie sociale d’hier est confrontée à la nouvelle réalité économique: Tropical Island est aujourd’hui si mal chauffée qu’elle doit bientôt fermer ses portes.
L’utopie est une ruine et le voyage s’arrête là . Le rêve bute sur les photos noir et blanc de l’île prises par Falk Haberkorn, et les photos couleur des plantes artificielles prises par Sven Johne.
C’est sur ce dôme laid que vient s’échouer la quête de bonheur.