ART | CRITIQUE

Trisha Donnelly

PAnne Malherbe
@12 Jan 2008

Encore une fois, Trisha Donnelly égare le spectateur avec des travaux qui expérimentent les limites d’une inquiétante insignifiance. Il est question de l’insuffisance des signes plutôt que d’ambiguïté ou de pluralité de significations.

L’exposition est traversée de lacunes et de manques. Ce que le spectateur peut y voir ne suffit pas à créer un sens ou un spectacle. Bribes, amorces, traces: chaque élément semble renvoyer à un contexte définitivement inconnu. C’est ainsi que le tout petit dessin 22 F.T.S.O. 22 (2006) peut apparaître comme la première ébauche d’un dessin technique (comme l’indiquerait le titre) ou un croquis griffonné pour retenir une idée.
On croit y discerner (à titre d’hypothèse) deux niveaux: de l’eau qui stagne (une bande bleue), à l’horizontale, au-dessus d’un baquet (une forme circulaire et creuse).

Un diptyque écartelé entre deux salles de la galerie relève du même genre. Il s’agit, perdu au centre de chacune des feuilles, d’un angle aigu, dessiné à l’encre, dont la ligne supérieure est placée à l’horizontale. Une autre ligne, plus tremblée, rejoint la pointe de l’angle en créant, par sa force d’impact, des éclaboussures ou des étincelles.

Quelle réalité ces dessins décrivent-ils? A nous d’essayer d’imaginer ce qui a pu les susciter ou ce dont ils offrent un aperçu. Des liens peuvent aussi être tissés d’une œuvre à l’autre. Ainsi entre le premier des dessins cités et Vacuum Blue (2005), où l’on retrouve la même bande bleue horizontale, affectant cette fois l’apparence d’un néon. Le titre, ici, se fait l’écho de l’impression qui émane de la mise en page, où la figure surmonte un large espace blanc. En tout cas, c’est une lumière froide qui se dégage et qui ne nous éclaire ni au sens propre, ni au sens figuré.

De même, une photographie sans titre montre un homme posté derrière le bow-window de la façade d’une bâtisse (une ferme ?). Que guette-t-il? Nul indice: nous sommes les spectateurs d’un spectacle invisible. Cependant, au mur en pierre de la maison répond une série d’agrandissements de décalcomanies réalisés (à ce qu’on peut supposer) sur les fissures d’un mur ou les veinules du bois. Une traînée blanche se fraie, en creux, un passage entre les biffures du crayon. Sur une autre image, l’injonction Let ‘em (laissez-les) est étiquetée sur un fond similaire aux réalisations précédentes.
Ce dernier travail est en fait une impression exécutée à partir d’un CDrom. Au propriétaire de l’imprimer aux dimensions qu’il souhaite. Qu’on le « laisse », donc, interpréter l’œuvre à sa guise, œuvre sur laquelle deux flashs superflus troublent la vision et font d’elle une pièce apparemment ratée, à considérer avec distance.

Ici comme ailleurs, il est question de l’insuffisance des signes: à un certain degré d’idiomatisme, ceux-ci perdent tout sens. Il n’est pas question d’ambiguïté ou de pluralité de significations, ni même de hiéroglyphes qu’il s’agirait de déchiffrer. Mais bien de signes qui devraient être compréhensibles (puisque leurs formes ne sont pas totalement inconnues), qui pourraient au moins proposer une amorce de sens, mais qui, contre toute attente, restent irréductiblement opaques. Plus inquiétant encore, leur évanescence, qui va de pair avec une érosion de leur matière, s’accompagne aussi d’une inévitable déperdition de réalité.

Trisha Donnelly:
— Untitled, 2006. C- print. 120 x 32,8 cm.
— No Title, 2005. Video loop.
— The Mokta Magnetics, 2005. Diptych, pencil and colored crayon on paper. 2 x (100 x 70) cm.
— Let’ em (2005). Image sur CD-Rom à imprimer.

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