— Auteurs : sous la direction de Valérie Dupont : Simone Deyts, Gilles Sauron, Irena Buzinska, Krisztina Passuth, Elfi Turpin, Lucille Estivalet, Andrzej Turowski
— Éditeur : Éditions universitaires de Dijon, Dijon
— Collection : EUD-Société
— Année : 2002
— Format : 15 x 23 cm
— Illustrations : 40 en noir et blanc
— Pages : 150
— Langue : français
— ISBN : 2-905965-84-3
— Prix : 18,50 €
Avant-propos
par Valérie Dupont
Les études rassemblées dans le présent ouvrage constituent le résultat d’une recherche sur le phénomène primitiviste et sur la réception en Occident des arts tribaux. Destinées à un colloque organisé en mai 2000, elles ont été réalisées par des historiens de l’art attachés à l’Équipe d’Accueil « Mémoire, Discours et Images » de l’université de Bourgogne et des collègues spécialistes de Hongrie et de Lettonie. Sous le titre Tribus contemporaines, notre questionnement entendait aborder les problèmes soulevés par les relations entre le monde de l’art occidental et les arts extra occidentaux : des découvertes dans les villes européennes de l’art des Noirs aux voyages dans les mers du Sud, des conquêtes coloniales aux représentations de l’Autre, de la passion des objets à l’élaboration théorique, des connaissances ethnographiques aux visions poétiques de l’art. Une telle ouverture ne signifiait pas confusion, mais désir de dessiner dans la diversité le lieu où le motif primitiviste est apparu. Il s’agissait moins d’analyser des œuvres pour elles-mêmes que de conduire une réflexion autour des conditions d’appropriation de modèles exotiques par les systèmes artistiques des pays économiquement développés, dans le cadre de relations de pouvoir toujours inégales.
Si le débat tel que nous l’envisagions concernait essentiellement un aspect de la modernité artistique, il nous a paru nécessaire et d’autant plus utile que la démarche était nouvelle, de situer les débuts d’une rencontre inégale. Aussi, trouvera-t-on dans une première trajectoire du livre une évocation de la place de l’homme dans l’iconographie occidentale, à travers des exemples tirés de l’histoire romaine et de la Gaule qui porteront leurs échos jusqu’à la période contemporaine. Dès l’Antiquité en effet, bien avant que l’entreprise coloniale ne désigne le prirmitif comme le partenaire dominé, l’Africain incarne dans les représentations figurées des modèles de sous-humanité : images négatives des rapports d’oppression qui président au contact entre les civilisations.
La découverte en Europe des arts tribaux, au cours des toutes premières années du XXe siècle, fut quant à elle maintes fois relatée. Son histoire met en scène plusieurs catégories d’acteurs au premier rang desquels figurent les artistes. C’est aux autres participants que nous avons choisi de nous intéresser, collectionneurs, marchands, critiques d’art, voyageurs, hommes de science qui par leur curiosité et leur appétit du nouveau ont favorisé l’échange, la communication et la mobilité des objets comme celle des idées. Sillonnant l’Europe, visitant les musées à la recherche des spécimens d’« art nègre », Voldemars Matvejs (Vladimir Markov), Carl Einstein, Joseph Brummer, Tristan Tzara furent des pionniers de la diffusion des arts d’Afrique et d’Océanie. Tous issus des milieux de l’avant-garde artistique, ils partageaient les insatisfactions et les désirs de la jeune génération, attirée vers d’autres horizons et d’autres rives plus luxuriantes que les terres infertiles d’Occident. La tradition occidentale avait conduit à une impasse. Pour les uns et les autres, il était impératif de réinventer une tradition, fonder de nouvelles bases pour la création, redonner à l’art les possibilités d’articuler l’expérience de l’homme au monde contemporain. Il résulta de l’évolution de la sensibilité artistique du vieux monde, due aux impressionnistes et à Cézanne, un élan vers les objets des civilisations lointaines. Certes la révélation se produisit sur des esprits préparés et il va sans dire que la découverte était intéressée. Les échantillons d’art tribal aidèrent ou confortèrent les innovations les plus audacieuses, les trouvailles les plus récentes des artistes guidés par la nécessité d’en finir avec l’ancien monde et par un désir d’atteindre une définition autrement plus humaine de l’art. La littérature balbutiante s’intéressa aux styles, aux qualités plastiques, aux modes de création, tenta des comparaisons avec d’autres objets créés en dehors de nos normes, proposa de nouvelles conceptions de l’art à partir de ce que suggéraient les réalisations tribales. L’accent fut mis sur ce qui était supposé manquer à l’art occidental : l’authenticité, la spiritualité, les sentiments, l’instinct, la liberté. Pourtant, les auteurs étudiés ici, Matvejs-Markov, Einstein, Tzara, Zervos ont tous porté un regard différent sur les arts des contrées lointaines, les positions respectives de chacun englobant le point de vue sur les productions avec celui sur leur réception.
C’est bien sur le contexte d’une rencontre que nous avons voulu revenir pour reconsidérer un des jalons essentiels de l’art d’avant-garde. Nous avons privilégié les modes de diffusion, les voies de circulation, les réseaux d’échanges, les voyages des ethnographes ou ceux des artistes devenus parfois, à l’instar de Witkiewicz, des explorateurs des confins, décidés d’ouvrir la porte de l’inconnu, ce grand ressort de la modernité. Qu’ont trouvé finalement les artistes occidentaux dans le vaste atelier de l’exotisme ? De nouveaux mythes ? Une autre identité ? Une plus grande liberté ? La réponse est multiple, ouverte, toujours ambiguë. Nous tentons là de la compléter et la préciser.
Nous souhaitons placer ce présent ouvrage dans la continuité des Fragments… Arts et artistes autour de C. Zervos, un recueil de textes précédemment publié aux Éditions universitaires de Dijon et dont l’intention était « d’esquisser les brouillons de l’art contemporain », à partir d’un autre regard porté sur l’art. Dans ce sens, nous espérons que nos investigations fourniront à l’histoire de l’art quelques uns des termes qui firent l’intensité de l’expérience primitive sur la scène occidentale de l’art contemporain.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des Éditions universitaires de Dijon)
L’auteur
Valérie Dupont est maître de conférence en histoire de l’art à l’université de Bourgogne.