Rémy Hysbergue est un jeune peintre abstrait qui présente à la Galerie Casini trois séries intitulées: Reflet, Distraction, et Vide Fait. Titres qui ne font pas immédiatement système, mais qui sont choisis avec soin, comme l’étaient les précédents. Citons-en quelques-uns: Bluff, Cordialement, Epoustouflant, Ravissement, Blitz, Blandice, Surtout vu d’en bas, Loin Tain. On pourrait jouer à les regrouper autrement: Vide Fait /Loin Tain (détournements de vocables), Bluff /Blitz /Blandice (série en « B »), Epoustouflant /Ravissement (exclamations courtoises ou convenues de spectateurs?), Surtout vu d’en bas (prélevé sur quelque dialogue, faisant suite à « Vu d’en haut? »). On pourrait épiloguer sur leur rapport direct ou indirect à la picturalité. Ce qu’on ne peut pas faire, c’est anticiper ce que seront les suivants. Pas plus qu’on ne peut prétendre deviner ce que seront les prochaines séries. Sur la façon dont elles se succèdent, l’artiste a son mot à dire: chacune est indépendante des autres, est une manière spécifique d’aborder l’espace.
La série Reflet se présente sous forme de petits formats entièrement recouverts de peinture: c’est comme s’il ne restait de la surface de l’eau que son opacité. Ce sont des fonds d’étang mauves, roses ou d’un bleu sombre où toute forme est brouillée toute figure bue. Imaginons un Monet qui peindrait ses Nymphéas en éliminant les nénuphars… Malgré la surface lisse, la couleur moirée présente des effets de trame dus au passage méthodique de la brosse.
A l’inverse de ces Reflets qui proposent un espace saturé de couleur, Distraction et Vide Fait déclinent le vide d’un espace blanc laissé vacant par une peinture reléguée sur les bords. Hysbergue n’emploie cette fois ni brosse ni pinceau. Pour Distraction, il se sert d’une très grande spatule ou raclette qui imite pourtant des traces de brosse. On ne peut manquer de penser aux brush-strokes parodiques de Lichtenstein reproduisant, dans un travail sérigraphique, des traces de pinceau agrandies: même mise à distance de la touche et de la subjectivité qu’elle véhicule. Le racloir est passé deux fois sur le support — une fois dans le sens horizontal, une fois dans le sens vertical — pour y déposer ce qui apparaîtra comme des traces de peinture. Le processus et le geste sont au coeur de cette démarche. On a l’impression que l’artiste procède par saccades, de façon discontinue, que le geste, orienté et mécanique, inclut des pauses qui, par un hasard calculé, viennent s’inscrire dans l’image.
Pour Vide Fait, l’outil utilisé est la seringue. L’effet produit est celui de fins réseaux en relief où le trait calligraphique est parfois suspendu. Le pinceau fait retour, non pas pour tracer mais pour enlever, effacer ou encore écraser quelque lacis qui, du coup, se fait ruban.
Aux nouveaux outils correspond un nouveau support. Rémy Hysbergue utilise pour ces trois séries — comme pour Pneuma, comme pour Cordialement, du Komacel, mousse de PVC blanche et lisse qui se substitue à la toile, à sa trame et ses enduits. Le médium acrylique en est transfiguré. Dans Distraction, c’est la matière picturale qui s’absente, tout en simulant sa présence: glacis avec des effets de bougé, transparences, trace-fantôme d’un outil disparu. Si la matière est paradoxale, la couleur l’est également: changeant selon l’éclairage, monochrome et, comme le précise Hysbergue, « interférente ».
Par ailleurs, la géométrie souple des constructions pourrait évoquer les grattages irisés de Max Ernst ou les incisions gestuelles de Hans Hartung. Mais, à l’inverse de ces techniques où l’artiste retire partiellement une matière préalablement déposée, ici le racloir dépose tout en réservant. Des caches qu’on enlève ensuite, des zones de masquage, empêchent le passage de la couleur.
Vide Fait est une série non close, à laquelle l’artiste travaille encore. Il la conçoit comme une sorte d’écriture par projection de peinture (d’où le terme de « calligraphie » employé par lui). On y retrouve la conception orientale de l’espace fondée sur le vide. Ce pourrait être un Sam Francis revisité à l’ère des nouveaux médias. Les outils à la main, Hysbergue s’interroge sur l’essence même de la peinture, sur les conditions de son émergence. Son art est à la fois programmatique et sensible. La peinture est chez lui représentée par une peinture qui joue à être ce qu’elle n’est pas.
— Distraction n° 19, 2001. Acrylique sur komacel. 160 x 119 cm.
— Distraction n° 11, 2001. Acrylique sur komacel. 160 x 119 cm.
— Vide Fait n° 8, 2001. Acrylique sur komacel. 160 x 119 cm.