Yto Barrada, Valérie Belin, Marina Berio et Jean-Christian Bourcart
Travelling
«Travelling» réunit quatre artistes qui s’expriment d’abord avec la photographie (Marina Berio dessine aussi, Jean-Christian Bourcart a réalisé des films, et Yto Barrada des vidéos).
Chacun se manifeste dans sa direction après avoir expérimenté des parcours distincts, notamment pour Bourcart qui s’est lancé, un temps, sur la voie rude et embouteillée du photo-journalisme. Ou pour Barrada qui, depuis ses débuts, développe un engagement lié à Tanger, la ville natale de son père, toujours en quête de sa propre histoire, même quand elle immobilise ceux qui veulent la quitter.
Du mouvement de l’homme vers le monde et vers les autres, «Travelling» se veut donc l’écho. Un écho qui devrait rebondir d’image en image, car les singuliers déplacements de ces quatre artistes, sans lien apparent, enregistrent une réalité si forte, si accélérée qu’elle paraît se transformer aussitôt en souvenir instantané.
Ainsi avec Valérie Belin et sa série des épaves de voiture, réalisées en 1998, où le corps est absent, mais encore inscrit symboliquement dans la carcasse, comme s’il ne pouvait s’empêcher, malgré l’accident, de parader. Elle précise: «Comme si les photographies des automobiles accidentées constituaient l’image précipitée de l’énergie cinétique à l’œuvre dans l’instant de la catastrophe.»
Avec Untold Stories, Marina Berio fait à sa façon de la «street photography». Derrière les vitres des ferries, des silhouettes apparaissent. Ce ne sont que des inconnus dont les contours font des ombres qui viennent jouer avec les graffitis comme des bouts de narration. Une double écriture — celle de la lumière, et celle, illisible, de mots jetés dans l’oubli — pour une série en noir et blanc qui tourne autour de l’abstraction, mais sans jamais l’imposer.
Après Forbidden City, voyage au cœur de la comédie du sexe, voici Traffic, le nouveau défi de Jean-Christian Bourcart qui braque les passagers qu’il surprend dans leur voiture. Ça se passe en bas de chez lui, dans Canal Street, à New York. C’est un face à face pacifique, qui dure quelques secondes, parfois le masque des visages tombe. Bourcart: «Les gens sont un peu désincarnés, se mêlant aux reflets des pare brise, ils deviennent comme des fantômes.»
Pour Yto Barrada, malgré les fantômes légendaires des Bowles, Tanger est une «ville rurale qui fait semblant d’être autre chose que ce qu’elle est.» Avec elle, pas de faux-semblants, de contemplation et de jolies couleurs sucrées, Tanger se regarde sans complaisance, comme si elle avait essayé d’y broyer les lieux communs (oasis, etc). Entre pathétique et poétique, avec rigueur et vigueur, elle montre une cité dopée par le tourisme, mais que ses propres habitants rêvent éternellement de quitter. «Moi je suis partie, mais je reviens tout le temps, c’est la violence du retour qui m’intéresse», souligne Yto Barrada, qui documente un royaume du Maroc bien loin des clichés.
«Travelling» est aussi un lieu où se confrontent énergies physiques et artistiques. Un territoire d’élans et d’expériences ouvert sur l’horizon, «le hiéroglyphe de l’infini» comme dit le poète Brodsky.