Julien Audebert, Victor Burgin, David Claerbout, Douglas Gordon, Gary Hill, Pierre Huyghe, Raphaël Maze, Karin Apollonia Müller, Matthias Müller, Paulette Phillips, Salla Tykkä, Michel François
Travelling
Le cinéma n’est pas, pour l’art contemporain des vingt dernières années, un objet comme les autres. Alors que certains cinéastes entrent au musée et qu’à leur tour certains artistes emploient les moyens techniques et économiques du cinéma commercial, alors également que des plateformes comme Youtube regorgent de remakes et autres montages cinématographiques, l’exposition «Travelling» propose d’observer ce que les oeuvres plastiques elles-mêmes «entendent» par cinéma ou, plus exactement, de quoi est faite la part du cinéma dans ces oeuvres. Cet aspect moins connu des collections du Frac Haute-Normandie – dont une toute nouvelle acquisition de Paulette Phillips jamais encore exposée – révèle une partie de ce qui amène les artistes à parler de cinéma, avec le cinéma, ou comme s’ils étaient entrés eux-mêmes, et nous avec eux, dans le cinéma.
Ces artistes diffèrent des autres spectateurs en ce qu’ils n’ont pas pu s’empêcher de faire quelque chose du cinéma. Celui-ci, de spectacle exceptionnel et sacré, est devenu, en une vingtaine d’années, et depuis la généralisation de la vidéo, une matière qu’il est possible de conserver et surtout de manipuler. Des portes inattendues se sont ouvertes, libérant des figures qui, peu ou prou, cherchaient à se concrétiser. La mythologie cinématographique (des «classic» hollywoodiens tels que le définit le marché du Dvd aux grands succès qui pénètrent l’imaginaire collectif) est réinterprétée comme un corpus d’histoires communes, au creux desquels se lit le sens de ce qui est vécu esthétiquement ainsi que dans la vie, les amours et les guerres bien réelles. Aura des acteurs, rôles et figures, mais aussi des lieux fétichisés des tournages sont réinterprétés par des artistes hantés, comme nous tous, par des personnages et des histoires
fascinantes qui semblent reliées entre eux par de complexes généalogies.
Les artistes s’approprient également la technique, l’écriture, voire le format cinématographique, et, ce faisant, leur impact considérable, sur le public. Ainsi filment-ils un espace comme s’ils refilmaient tous les films, construisent un décor comme s’il était destiné à quelque tournage secret, mettent au service d’un récit les qualités identifiables du suspense ou la force sentimentale des partitions musicales écrites pour les films… Mais le cinéma est aussi visité comme un autre monde, autonome et pénétrable, dans lequel les artistes, prétextant faire l’analyse des moyens de la représentation, semblent regretter de n’avoir jamais pu entrer.
Suivant en cela bien des scénarios fantastiques (La Rose pourpre du Caire), ils ont tenté de lui donner un peu de forme, un peu de chair. Le regard que nous portons sur les films devient, grâce aux oeuvres, un canal à double sens. Et si l’exploration de ce territoire en deux dimensions se fait par des moyens esthétiques, nous plaçant par exemple, littéralement, au coeur d’une action, c’est aussi notre statut et notre savoir de spectateur qui servent de pass, donnant accès, enfin, à ce «lieu» désiré et jusqu’alors essentiellement subi.