Christophe Cuzin
Travaux…
L’ensemble de son oeuvre répond à une démarche qui consiste, à partir d’un espace donné, à faire dialoguer peinture, lumière, couleur, architecture et volume. Christophe Cuzin décline ces éléments dans chacun des sites qu’il investit.
On peut le qualifier de peintre en bâtiments, il peint des murs avec un rouleau, sans prouesse, c’est un bon artisan. Comme il est aussi le commanditaire de son travail, il s’autorise quelques fantaisies quant à la règle du genre. Ainsi, il peut peindre chaque mur d’une couleur différente en l’arrêtant à treize centimètres des bords, peindre un mur mais incliner la peinture de treize degrés ou la déplacer de quatre-vingts centimètres vers la droite et cent vers le bas ; ou encore commencer à peindre un mur correctement et terminer progressivement, sans conviction, voire avec désinvolture. Il peut aussi mettre en dualité le bienpeint et le malpeint en référence à Robert Filliou, ou refaire chaque mur d’une pièce, avec portes et fenêtres, mais en diminuer les dimensions du taux de la Tva ambiante. Dans le champ ténu de la peinture en bâtiments, Christophe Cuzin introduit des hiatus, concept qu’il véhicule d’expositions en commandes publiques. De son travail, il a évacué le tableau en tant qu’objet et explore autrement la question de la peinture. L’ensemble de son oeuvre est à caractère éphémère. Le concept est l’oeuvre. Il n’en conserve pas de trace, mais, à l’instar d’une pièce de musique de jazz, elle est re-jouable sans cesse, dans une infinité de développements picturaux.
Quelques réalisations pérennes existent cependant, créées dans le cadre de la commande publique, telles que l’Église de Lognes (murs et vitraux) en Seine-et-Marne, le parking du quai d’Austerlitz à Paris dans le 13e arrondissement, les baies vitrées de la mairie de Croissy-sur-Seine, trois halls d’immeuble rue Baron Leroy dans le 12e arrondissement de Paris, un tapis (30 m x 6 m) pour la salle de réception de la mairie de Caen (Abbaye aux hommes), des drapeaux pour la façade du centre d’art Le Quartier à Quimper, les halls de l’École d’architecture de Villeneuve d’Asq, les halls d’accueil du musée de Magdeburg en Allemagne.
Pour «Travaux…» à Besançon, Christophe Cuzin signale des situations provisoires avec une couleur : le orange. Orange, comme la couleur des outils de chantier, ou d’un avertisseur de danger, orange comme un fruit, un opérateur téléphonique, une révolution en Ukraine… Bref, orange comme une couleur secondaire associée à de multiples usages. Au-delà de ces appropriations diverses, l’artiste ramène cette couleur orange à sa fonction picturale initiale.
Cette couleur s’inscrit tout naturellement sur le site de la future Cité des Arts. De la même manière que l’on marque un arbre à abattre dans une forêt, ou que l’on biffe les architectures condamnées sur une photographie, Christophe Cuzin agit sur les constructions actuelles du site de l’ancien port fluvial amenées à être démolies afin d’ériger le projet architectural de Kengo Kuma qui accueillera le Fonds Régional d’Art Contemporain de Franche-Comté et le Conservatoire à Rayonnement Régional.
Tout comme le orange s’impose sur la Porte Noire, patrimoine bisontin remarquable masqué au regard par un échafaudage installé pour la durée du chantier de sauvegarde de l’édifice. Cet échafaudage est l’occasion pour l’artiste de poser un décor, une simulation qui renomme l’édifice dans toute son ampleur et redonne le vertige du projet au temps de sa construction. C’est une toile monochrome qui reprend la forme de la Porte Noire à l’échelle 1 apposée à l’Arc de Triomphe que propose l’artiste sur ce site historique. Accrochée comme une peinture du XIXe siècle, son inclinaison la place perpendiculaire à la rue montante.
À la Galerie d’art contemporain, située au rez-de-chaussée de l’Hôtel de Ville la couleur orange s’affranchit de tout assujettissement et prend place sur la palette des couleurs au même titre que toute autre. De la mémoire vivante des visiteurs ayant fréquenté le lieu ces vingt dernières années, Christophe Cuzin fait ici l’objet même de l’oeuvre. Par une construction géométrique colorée conçue à partir des données recueillies, l’artiste matérialise les différentes strates de la vie de ce lieu ouvert en 1987 – poursuivant l’action initiée dès 1978 au sein du centre culturel Pierre Bayle – et qui, après «Travaux…» sera destiné à d’autres missions.