Les trois nouvelles séries de Valérie Belin pourraient toutes s’intituler «déclinaisons». Transsexuels, Femmes noires, Modèles ont en commun de présenter des portraits photographiques qui déclinent une identité.
A travers les excès, le hors-norme, Valérie Belin parvient à pointer, sans tapages, les diktats du paraître. Ses travaux successifs sont des énumérations des codes aussi bien culturels (Sans titre, 2000-2001) que physiques (Bodybuilders, 1999). C’est à travers l’exemplarité du costume traditionnel, du corps hyper-musclé androgyne qu’elle dresse un inventaire des états d’âme de notre enveloppe charnelle. Elle collectionne ces identités, les classe par style, puis en photographie les changements.
Les grands formats sur lesquels sont tirés les clichés permettent, mieux qu’ailleurs, de rentrer dans la peau de ces personnages endimanchés, huilés, poudrés, fardés. Le face à face avec ces masques modernes, avec ces entités changeantes mais normées, passe à travers l’épiderme. La surface est granuleuse, suintante ou lisse, toujours différente, jamais neutre à l’inverse du fond blanc des compositions.
Le succès que rencontre le travail de Valérie Belin repose sur une maîtrise photographique, mais surtout sur une thématique qui dépasse le cadre uniquement artistique. L’attention réservée au corps, à son entretien, à son culte est présent quotidiennement depuis l’émergence de la société du loisir. Cet intérêt dépasse largement la guerre entre les gros et les maigres brossée au XIXe siècle par Zola dans Le Ventre de Paris. Le culte du corps s’impose comme religion et se divise en différentes chapelles. L’artiste ne tend pas à l’exhaustivité mais emprunte certaines pistes.
Malgré cette actualité qui colle à l’air du temps (Kalvin Klein depuis dix ans a calqué sa griffe sur l’identité ambiguë : Kate Moss, son mannequin-phare, a été retenue pour son côté androgyne), et malgré les travaux de Vanessa Beecroft ou de Nan Goldin, Valérie Belin parvient à ne pas répéter ce qui a déjà été fait. Sa démarche ne cède pas aux sirènes de la mode, et s’enracine dans un corpus cohérent, très calculé, presque programmatique. Les opus s’aditionnent les uns aux autres, se répondent et participent à la même dynamique artistique et formelle.
La salle du bas accueille la série sur les transsexuels. Le trouble s’installe immédiatement, est-on en face d’hommes ou de femmes? Quelques poils sur le menton dissipent les malentendus, mais ne serait-ce pas des femmes travesties? Le jeu de rôle se transforme en jeu de piste. En fait, ce sont des hommes qui ont été photographiés juste avant de devenir des femmes. Les clichés tentent de capter cet entre-deux, cette part féminine et masculine.
En passant à l’étage, ce sont de très beaux mannequins qui accueillent le visiteur. Le même visage semble être coiffé de différentes façons. Les grains de beauté ne sont pourtant pas placés aux mêmes endroits, nouvelle hésitation… Encore une fois l’incertitude envahit la visite. Le masque des mannequins professionnels n’est pas plus rassurant que celui des portraits précédents. Les jeunes filles photographiées sont choisies en fonction de normes, de grilles d’exigence, d’un cahier des charges diront les plus cyniques. La beauté livrée aux médias est modelée, stéréotypée.
Dans les deux séries l’identité est fabriquée, modelée. Le malaise s’installe avec la même intensité entre ces corps mutants et ces clones de reines de beauté. Tout est mis à plat avec le dispositif photographique. Ces photos d’identité très chic fonctionnent comme celles des photomatons, tout le monde se retrouve avec la même tête!
La troisième série relève plus de la sculpture que du champ photographique. Loin du fard utilisé précédemment, ces visages d’ébène relèvent plus du masque, africain de surcroît. Les deux séries précédentes étaient marquées par la présence en creux de deux consœurs américaines — Nan Golding et Vanessa Beecroft — , la nouvelle référence n’en est pas moins prestigieuse, car elle fait penser à Man Ray.
Les natures mortes de fleurs, comme les corps bodybuildés se réfèrent implicitement à cet autre Américain qui expérimentait en son temps la solarisation. L’ovale des visages fait penser à d’autres clichés mythiques du maître surréaliste. Les huit portraits de ces beautés froides, de ces yeux en amandes, en font des reines d’Ethiopie. Dure et grave à la fois, ces sculptures altières se démarquent des entités calibrées et transgressives des deux premières séries. Elles se laissent contempler, elles se laissent admirer dévotement.
Valérie Belin
— Transsexuels, 2002. Huit photographies noir et blanc. 161 x 125 cm.
— Femmes noires, 2002. Huit photographies noir et blanc. 161 x 125 cm.
— Modèles, 2002. Huit photographies noir et blanc. 161 x 125 cm.