Transformer II, organisée par Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, est une exposition en miroir, qui fonctionne par connivences visuelles et jeux de sens implicites. Tissant des liens image par image, les deux photographes ont en effet choisi de rassembler — ou plutôt d’assembler — quelques œuvres choisies, principalement picturales ou photographiques, réalisées par leurs amis artistes, et symptomatiques de leurs préoccupations communes.
C’est donc sur un mode quelque peu intimiste que se déploie l’exposition, l’accent étant mis prioritairement sur la proximité artistique nouant chaque proposition à la suivante, à travers un principe de circularité contaminant tout l’espace de la galerie.
Ainsi, quelques œuvres clés jalonnent l’accrochage, comme celles de Richard Prince ou de Richard Avedon, qui indiquent plus spécifiquement les fondements même du travail de Lamsweerde et Matadin, tandis que d’autres, par échos interposés, en pointent la nature évolutive et mouvante, en perpétuel renouvellement. Transformer II doit d’ailleurs son nom à une œuvre de Katharina Sieverding, qui, si elle n’est pas montrée ici, incite à examiner l’exposition, par son titre évocateur, sous l’angle du recyclage, de la réappropriation, de la reconfiguration permanentes.
Le visage de Christy notamment, visible à trois reprises sous diverses formats et médias, permet de mieux saisir la mise en abîme instaurée par de tels processus de dédoublement et de déplacement : cette image de Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, qui évoque plus particulièrement, par la pose stéréotypée de la jeune femme (cheveux souples et longs, bouche entrouverte et regard fixe un peu perdu) le rapport spécifique qu’entretiennent les deux artistes avec l’univers de la mode, se voit d’une part reproduite sur toile par Richard Phillips, et également réinvestie par M/M (Paris).
Au sein de l’espace rectangulaire situé à gauche de l’entrée, la photographie « originale » est ainsi présentée juste à côté de sa reproduction picturale, elle-même accrochée de manière centrale sur le mur du fond, les deux œuvres jouant en stereo, comme deux représentations, deux interprétations possibles d’une même image.
À droite, sur un mur intégralement tapissé d’affiches retouchées appartenant également au couple de photographes, le visage de Christy revient résonner, cette fois détouré, découpé tel un médaillon, et restauré (enhanced) par le graphisme raffiné de M/M (Paris). Précisément, c’est un œil grand ouvert, au style soigné et à la fixité quasi hypnotique, que le duo a choisi de dessiner sur le front de la mannequin, figurant de manière emblématique l’étroite collaboration unissant le groupe d’artistes.
Et de fait, peut-être convient-il de lire toute l’exposition à travers ce « troisième œil », comme une troisième voie, une porte dérobée, qui serait celle de la mise en abîme du visible, de son mouvement et de son oscillation délicate, chaque image se voyant dès lors indéfiniment et hypothétiquement ré-envisagée à travers le prisme de l’autre, l’autre étant tour à tour l’œuvre, l’artiste, ou la référence conviée.
Entre le papier glacé d’une photographie et la brosse d’une peinture léchée (Christy), par exemple, mais aussi entre les deux étranges appendices proposés par Roni Horn, sortes de têtes lisses inquiétantes (Untitled # 3), ou encore à travers les affiches incomplètes de Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, images de top-model réinvesties par un découpage aléatoire et anonymant masquant les regards (The Alphabet), il s’agit finalement d’instaurer l’écart comme processus dynamique, ouvrant paradoxalement à l’échange.
Identité sexuelle incertaine chez Brice Dellsperger (Body Double X, starring Jean-Luc Verna), moment égaré de l’adolescence, prégnant et poignant, chez Rineke Dijkstra (Kolobrzeg, Poland, July 27, 1992), ou vision trouble de l’enfance envolée (Janus) chez Sebastiaan Bremer, les visages se répondent, les atmosphères se mêlent, d’un mur à l’autre, d’une œuvre à elle-même ou à l’autre, mais sans jamais se donner tout à fait.
Au bout du compte, telle une communauté de portraits à la fois restreinte et éclatée, imprégnée de la multiplicité des identités présentées, l’exposition Transformer II défend le mélange des genres, et souligne le caractère mobile de toute pensée artistique.
Rita Ackermann
— Try Jessie, 2002. Acrylique et stylo bille sur toile. 175 x 253 cm.
Richard Avedon
— Billy Mudd, Trucker, Alto, texas, May 7, 1981, 1981 (tirage de 1985). Photo, tirage argentique monté sur aluminium. 153 x 118 cm.
Sebastiaan Bremer
— Janus, 2002. Encre sur photo, cadre. 112 x 76 cm.
Robert Crumb
— Devil Dude, 2000. Encre sur papier, cadre. 21,50 x 34,50 cm.
— Just doing my job, 2002. Encre sur papier, cadre. 25 x 37 cm.
— Pierre, Local Crazy Artist, 2001. Encre sur papier, cadre. 23 x 29 cm.
Brice Dellsperger
— Body Double X, starring Jean-Luc Verna, 2002. 2 photos sur aluminium. 24 x 30 cm chacune.
Rineke Dijkstra
— Kolobrzeg Poland, July 27, 1992, 1992. Photo couleur, cadre bois.
Franz Gertsch
— Irène V, 1981. Lavis sur papier. 53 x 78,50 cm.
Steven Gontarski
— Zeta III, 2002. Fiberglass. 72 x 50 x 30 cm et 96,50 x 50 x 33,50 cm.
Roni Horn
— Untitled # 3, 1999. Photographies. (2 x) 56 x 56 cm.
Richard Phillips
— Christy, 2002. Huile sur toile de lin. 216 x 175 cm.
Richard Prince
— Untitled (Publicity) , 1999. Photo publicitaire et 4 dessins, cadre.
RE Magazine
— # 6, 2001. The information trash can, p. 15-16. Chromalin.
Katharina Sieverding
— Transformer — Solarisation 2A/B, 1973/2000. Photos montées sur plexiglas, cadres aluminium, 2 x 190 x 125 cm.
Inez Van Lamsweerde & Vinoodh Matadin
— Christy Stereo Christy, 2002. Photo montée sur plexiglas, cadre, 156 x 133 cm.
Inez Van Lamsweerde & Vinoodh Matadin — M/M (Paris)
— The Alphabet, 2001 (Transformer).
— Christy (Enhanced) , 2002. Sérigraphie sur papier Rives.