Saïd Afifi, Fouad Bouchoucha, Berdaguer & Péjus, Jordi Colomer, Simohammed Fettaka, Ismaël, Mourad Krinah, Olivier Millagou, Moussa Sarr
Trankat
Développée en partenariat avec Sextant et plus, la résidence d’artistes Trankat est basée dans une demeure traditionnelle de Tétouan, ville du nord du Maroc, dont la médina est classée au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Ville sans architecte, ce territoire spécifique remet en question les notions de sphère privée et publique et les méthodes de cartographie classiques. C’est dans ce cadre rompant catégoriquement avec l’image de carte postale que les œuvres de l’exposition «Trankat» ont été conçues. En effet, depuis 2013, des artistes internationaux et marocains sont invités à résider au cœur de ce site remarquable pour travailler avec les artisans locaux et les étudiants des trois écoles d’art de la ville.
Présentées pour la première fois à Marseille, l’exposition «Trankat» révèle le sens originel de «Tétouan», «Titawin» qui signifie «source». Jordi Colomer s’est approprié les toits de la ville ancienne. Echappée poétique et fantasque, la vidéo Médina (Parkour) montre l’artiste sautant d’une terrasse à l’autre, un sac de pain à la main. Ainsi se dessine un itinéraire parallèle faisant fi des murs érigés entre les propriétés et des codes de conduite qui prévalent en contrebas. Réalisé à partir de séquences photographiques, ce court film muet répond au film documentaire Architectes (Tétouan), réalisé avec le concours des étudiants de l’Ecole Nationale d’Architecture de la ville. Guidé par les jeunes, Colomer a sillonné la cité. Des quartiers huppés aux zones secondaires, le film donne à voir une série de cheminements piétonniers et intellectuels redistribuant l’espace commun.
C’est également sur la terrasse de Dar Ben Jelloun que Moussa Sarr a réalisé la vidéo L’appel (Série Points de vue). Utilisant un symbole français et en référence à son passé colonial, l’artiste Corse d’origine Sénégalaise provoque une joute sonore avec les coqs de la médina et les mosquées des alentours. L’écho se répercute, revient et repart, pointant l’idée de reconnaissance entre pairs. D’autre part, réalisée à partir d’un tapis de prière en laine, l’œuvre Rising Carpet est selon les mots de l’artiste: «le premier vrai tapis volant au monde». Objet hybride et fascinant mêlant technologies actuelles et artisanat traditionnel, l’œuvre met en exergue les clichés de l’orientalisme et les crispations liées à la religion Islamique.
L’œuvre Dolomate de Simohammed Fettaka interroge également les processus de construction mentale en matérialisant le principe de l’oxymore. Des lettres lumineuses en calligraphie arabe stylisée dessinent sur le mur le mot «dolomate», qui signifie «obscurité». Simohammed Fettaka explique: «L’invisible lumière du passé qu’est l’obscurité du présent m’a amené à réaliser une installation en espace clos plongé dans la pénombre, à l’aide d’un artisan menuisier. Mise en exergue, l’obscurité se révèle, et ne peut être pensée sans son pendant, la lumière.»
Jouant sur différents registres, Mourad Krinah propose Zelij # 1 – Tétouan, une œuvre invasive sous forme d’un papier-peint basé sur le motif géométrique et les couleurs des zelliges tétouanais, ces céramiques omniprésentes dans la résidence. Du motif décoratif se détache subtilement des images à caractère politique et liées à l’actualité du monde arabe, travaillées en superposition.
Egalement inspiré par cet art du zellige, Fouad Bouchoucha a travaillé avec le maître artisan de l’Ecole des Arts et Métiers de Tétouan pour la réalisation de l’installation La maîtresse et son esclave. L’œuvre, qui se distingue par un dispositif de monstration à la manière des laboratoires scientifiques, met en miroir deux paires de zelliges de modèle «Charaffa», selon un procédé soulignant l’extrême standardisation des protocoles liés aux logiciels de design industriel et la singularité des «savoir-faire». Interrogeant la disparition progressive de l’un, face au développement exponentiel de l’autre, l’œuvre fait référence à un non-dit de l’Histoire de certaines grandes familles marocaines.
Comme Fouad Bouchoucha, Said Afifi a suivi une formation technique approfondie. L’esthétique épurée de New Mythology rappelle l’univers lisse et artificiel des jeux vidéo. Réalisé à partir d’un ensemble de photographies prises dans la médina de Tétouan, ce film d’animation opère un glissement progressif transformant la ville fortifiée du XVIIe siècle en un tissu urbain ultra-moderniste.
En opposition avec l’atmosphère créée par Said Afifi, 35.57°- 5.35° d’Ismaël est une série photographique de la ville, réalisée selon un principe de déambulation urbaine. Les images sont captées au détour des chemins et des rencontres, souvent au hasard et sans cadrage spécifique.
C’est à l’extérieur de Tétouan, sur la route du Rif, entre Chefchaouen et Tétouan que Christophe Berdaguer et Marie Péjus ont découvert un site étrange qu’ils qualifient de «Superstudio marocain», en référence aux célèbres architectes utopistes italiens. Procédant à un travail de collage des personnages chevelus et dénudés de Superstudio sur les images d’une structure architecturale en béton à l’abandon, à la fonction indéfinissable, le duo a reconstitué la revue Casabella, mensuel d’architecture, d’urbanisme et de design, fondé en 1928.
Enfin, c’est également entre Tétouan et le petit village de Beni Boufrah, au cœur du Rif qu’Olivier Millagou a réalisé son projet sonore Riffs of the Rif. A partir d’un ensemble d’enregistrements de bruits de Tétouan et des alentours (joueurs de dés, musiciens traditionnels, fontaines et métiers à tisser, etc.) il a composé une partition jouée par la région du Nord du Maroc, matérialisée sous la forme d’une série de disques vinyles dont les pochettes en cuir ont été produites en collaboration avec les artisans de la médina. L’enregistrement, diffusé dans une partie de l’espace d’exposition, est une superposition de nappes sonores dignes d’un club electro-indus berlinois.
Sextant et plus est membre du réseau Marseille Expos.
Commissariat
Veronique Collard Bovy
Bérénice Saliou
Vernissage
Vendredi 13 février 2015 à 18h